Communication de crise : les erreurs du passé, les errements du présent
Après l’affaire de la Ghriba en avril 2002, la réaction du gouvernement d’alors a été de dire qu’il ne s’était rien passé, qu’il n’y avait pas eu d’attentat mais « un accident avec une bombonne de gaz ». En terme de communication, on appelle cela une stratégie de la négation dans laquelle l’accusé cherche à s’autoamnistier. Une stratégie qui peut se révéler désastreuse si les faits – réels ou tels qu’ils sont repris par les médias – la mettent en doute ou carrément la contredisent. Pour nous, cette “stratégie” qui se voulait l’expression d’une grande habilité politique a été perçue, notamment par les Allemands, comme un mensonge d’Etat, et il s’est ensuivi une chute ininterrompue de la destination pendant dix ans.
Nos frères marocains, mieux conseillés que nous, ont préféré à chaque fois réagir vite en parlant d’attentat et en rendant un vibrant hommage aux personnes touchées ; par là-même, ils se désignaient comme victimes, tout en affirmant déployer tous les moyens pour punir les coupables. Le Maroc applique à la lettre les préceptes de la communication de crise, où il est admis que l’objectif de réhabiliter l’image d’une destination est d’autant plus facile à atteindre si la responsabilité du pays ou de son gouvernement n’est pas engagée, et s’il peut se présenter en victime ayant agi en toute responsabilité. Cette stratégie, loin d’entamer le crédit du Royaume, lui a au contraire attiré la sympathie des décideurs et des touristes européens.
On en arrive à notre communication actuelle. Fidèle à la ligne politique d’Ennahda de minimiser le « risque salafiste », notre ministre du Tourisme ne pouvait condamner franchement les djihadistes violents et les désigner comme l’ennemi commun de la majorité écrasante des Tunisiens. Prisonnier de cette ligne politique et de son corollaire, qui consiste à « dénoncer les extrémismes et les provocations de gauche et de droite », il ne pouvait non plus se solidariser avec les vrais victimes de ces groupuscules que sont les femmes, les gérants de débits de boissons, les artistes ou même les forces de l’ordre. Il ne pouvait donc déployer la stratégie marocaine de victimisation.
Il a choisi par conséquent la troisième voie possible, la stratégie dite de « l’amalgame » qui consiste à dire : « il n’ y a pas que chez nous que ça existe ». Devant les journalistes français rencontrés début juin suite aux événement de Jendouba, il y est allé de son couplet favori : « Il y a plus de salafistes en France qu’en Tunisie », déclarait-t-il. On connaît la suite ; une semaine à peine après le périple français de M. Fakhfekh, les images de guérilla urbaine diffusées dans les médias européens sont venues démentir ces propos qui se voulaient rassurants. A-t-il pour autant retenu la leçon ? Que nenni. En plein couvre-feu, Monsieur le Ministre, n’écoutant que son courage, est allé dénoncer sur Nessma TV les Marocains qui « ont eu une bombe à Marrakech ! » L’amalgame, encore et toujours…
Tunisair : vous avez dit fictif ?
On savait déjà que Tunisair est le mouton à cinq pattes auquel on demande à la fois d’être rentable et de soutenir le tourisme même pour les destinations déficitaires ; de soutenir le social en finançant à tout va les clubs sportifs et les associations ; et de soutenir le clientélisme du pouvoir en embauchant les pistonnés de tout poil. De tous temps, Tunisair est cette entreprise à laquelle on peut même demander de soutenir les compagnies concurrentes lancées par des proches du pouvoir. De tous temps aussi, Tunisair est un champion national auquel on demande de livrer combat pieds et poings liés.
Dans l’affaire de l’emploi fictif, on a continué sur la même lancée : on jette en prison d’anciens pdg et des cadres en exercice, tout en interdisant à la compagnie d’exprimer ne serait-ce qu’un avis (يضربو ويحرم عليه البكاء). Son actuel pdg, dont le boulot est justement de veiller aux intérêts et à la réputation de son entreprise, se refugie dans un mutisme assourdissant : pas le moindre petit communiqué, pas la moindre déclaration. Bien plus, la directrice de la communication est mise en congé d’office : circulez, il n’ y a rien à voir et rien à dire.
Drôle de révolution qui nous voit bafouer les droits des entreprises à défendre leur réputation, et celui des salariés à exprimer leur douleur ou leur solidarité. En fait, depuis la révolution, on s’évertue à tailler à Tunisair un nouvel habit, celui du bouc émissaire idéal. Cela a commencé avec les déclarations incendiaires du ministre du Transport sur la corruption au sein de la compagnie ; ça continue aujourd’hui avec les mandats de dépôt. Tout cela pour un secret de polichinelle : des emplois fictifs de proches de Ben Ali effectués au vu et au su de tout le monde, y compris des magistrats, y compris des ministres, y compris des journalistes.
Personne ne s’est posé la question de savoir si un salarié était en position de refuser les ordres de son principal actionnaire, l’Etat, représenté par le chef de l’Etat en personne. Mais, encore une fois, on demande à Tunisair de racheter la lâcheté de tous, et de servir de marchepied aux ambitions des uns et aux visées politiciennes des autres.
On aimerait que tous ceux qui appellent depuis un an et demi à abattre Tunisair nous expliquent par quoi et par qui ils vont la remplacer. Par quelle magie cette entreprise, qui emploie désormais quelque 8000 personnes, ne trouve-t-elle pas une voix pour lui plaider les circonstances atténuantes ? pas même la voix de son pdg, dont c’est pourtant le devoir ? En effet, à quoi rime le mutisme de l’actuel pdg et son absence totale de réaction face à toutes les polémiques que traverse son entreprise ?
Dans la crise de Tunisair avec Syphax Airlines, le pdg de celle-ci s’est mué, à raison, en porte-parole et porte-drapeau de sa compagnie ; il n’a trouvé face à lui qu’un syndicat de pilotes ou un groupe du personnel. Mutisme aussi face à l’accusation de mauvaise gestion concernant l’avion de Tunisair laissé à la disposition de la présidence de la République. L’accusation de « dilapidation de biens publics » portée contre les anciens pdg et des cadres de Tunisair ne serait-elle pas tout autant valable contre ceux qui, aujourd’hui, n’éprouvent aucun besoin à éclairer le public sur des dépenses mille fois supérieures à celles de l’emploi fictif incriminé ? Ne serait-elle pas valable contre ceux qui dilapident le bien le plus précieux de cette entreprise, à savoir sa réputation ? Et pourquoi n’entendrions-nous pas le pdg de Tunisair déclarer, à l’instar de celui de la RAM, Driss El Hima : « C’est l’Etat qui nous oblige, pour des raisons politiques, à créer des lignes aériennes déficitaires » ?
La vérité est que le poste de pdg de Tunisair était depuis belle lurette un poste politique ; depuis quelque temps, ce poste est devenu quasiment un emploi fictif.