Bientôt un plan de redressement pour Tunisair
Silencieux depuis son arrivée à la tête de Tunisair, Rabah Jrad semble décidé à prendre la parole ; notamment pour défendre le plan de redressement qu’il proposera bientôt au gouvernement. Aux grands maux, les grands remèdes : ce plan mettra à contribution l’Etat pour assainir la dette de Tunisair (envers l’OACA, la CNSS…) et n’exclura pas un plan social que Rabah Jrad qualifie d’inévitable. Cette interview, la première qu’il accorde depuis sa prise de fonction, est aussi l’occasion pour R. Jrad d’afficher ses convictions en s’opposant sans nuance à la taxe sur le chiffre d’affaires des compagnies aériennes annoncée par le Ministre du Tourisme, et de soutenir, même s’il le fait indirectement, ses cadres impliqués dans l’affaire des « emplois fictifs ».
Le ministre du Tourisme a annoncé l’adoption de principe d’une taxe sur le chiffre d’affaires des compagnies aériennes nationales pour renflouer le budget de promotion du Tourisme. Qu’en pensez-vous ?
Rabah Jrad
Je n’étais pas au courant de cette décision. En apprenant cette nouvelle, j’en ai parlé avec le ministre du Transport qui n’en était pas informé non plus, et il en est de même pour le ministre des Finances.
Comment un ministre peut-il avancer une telle information en parlant d’un accord de principe au sein du gouvernement sans que ce soit vraiment le cas ?
R. J. Ce que j’ai compris, c’est qu’il comptait inclure cette taxe dans la loi des Finances de 2013. Cependant, pour ce faire, il aurait fallu que les partenaires et les ministères concernés en discutent et soient d’accord.
Pour nous, un pavillon qui est déjà sinistré ne doit pas subir en plus une taxe supplémentaire. Le taux évoqué, de 1% du chiffre d’affaires, représenterait 25% de notre marge bénéficiaire. Cela revient à dire que nous paierons un impôt sur les bénéfices majoré de 25%, soit une taxation de 55%, ce qui est impensable.
Vous n’êtes donc pas d’accord sur le taux de cette taxe ni sur le moment de son application. Etes-vous aussi contre le principe même d’une telle taxe ?
R. J. Nous sommes partenaires du secteur touristique et nous le soutenons par divers avantages, dont un millier de billets de transport gratuits par an. Par ailleurs, il n’est pas équitable de taxer les compagnies nationales au moment où elles s’apprêtent, avec l’Open Sky, à entrer dans une phase de concurrence accrue avec les compagnies étrangères – qui, elles, n’auront pas à subir cette taxe.
Selon vous, qu’est-ce qui pousse un ministre à faire de telles annonces ?
R. J. Je ne sais pas. Peut-être veut-il alléger le budget de l’Etat, et pense-t-il que la totalité du chiffre d’affaires des compagnies aériennes est faite dans le tourisme. Tunisair ne tire aujourd’hui que 20% à 25% de son chiffre d’affaires de l’activité touristique ; le reste, c’est du trafic régulier.
Je pose ma question autrement. Si on vous propose une taxe de 0,5% applicable dans 5 ans, qu’en penserez-vous ?
R. J. On verra à ce moment-là. Actuellement, Tunisair se consacre à la préparation d’un plan de redressement sur cinq années soutenu par l’Etat afin d’assainir sa situation. Ce plan sera proposé à l’approbation de l’Etat très prochainement. Nous en avons déjà informé le chef du gouvernement et le ministre du Transport.
Quels sont les grands axes de ce plan ? Prévoit-il une diminution des effectifs de Tunisair ?
R. J. C’est inévitable, il n’y a pas d’autres choix. D’ailleurs, nous avons déjà arrêté tout recrutement pour 2012.
Au-delà de cette réduction du personnel, quelles autres mesures comptez-vous proposer ?
R. J. Nous n’allons pas dévoiler le plan de redressement avant qu’il ne soit approuvé par le gouvernement. Mais parmi les points proposés, il y a le problème de la dette de Tunisair que nous voulons assainir avec le soutien de l’Etat. Ce dernier devrait aussi financer le plan de restructuration de l’entreprise, comme il devrait accorder son aide à la mesure des services publics rendus par Tunisair.
Globalement, comment jugez-vous la relation avec votre actionnaire principal, l’Etat ?
R. J. Notre ministre est conscient des enjeux qui se posent à la compagnie, le chef du gouvernement aussi. Et nous sommes tous d’accord pour dire qu’il nous faut des mesures courageuses pour sortir la compagnie de ses difficultés devenues structurelles.
Pensez-vous que la mise en place de ce plan est une affaire de semaines, de mois ou d’années ?
R. J. Normalement, nous devrions nous mettre d’accord avec le gouvernement sur l’ensemble du plan avant la fin de cette année, et son application s’étalerait sur deux ans.
Ce sera avant les élections ou après ?
R. J. Nous, nous demandons que ce soit avant les élections pour ne pas perdre une année.
En attendant ce plan, comment va Tunisair aujourd’hui ?
R. J. Elle va mieux qu’avant ; nous avons essayé, avec un certain succès, de comprimer les dépenses et d’améliorer nos recettes.
Je vais quand même vous poser la question des emplois fictifs. Trouvez-vous normal et équitable que des cadres de la compagnie soient écartés de leurs postes, sinon emprisonnés, sur un simple soupçon d’emploi fictif qu’ils n’ont ni décidé, ni approuvé ?
R. J. Il faut poser cette question à la Justice.
On reproche à ces cadres de n’avoir pas signalé ces disfonctionnements. Pensez-vous que, demain, on pourrait vous reprocher la même chose à propos d’autres emplois fictifs qui existeraient aujourd’hui au sein de Tunisair ?
R. J. C’est tout à fait plausible. Quand on a 8500 agents, on est dans l’incapacité de les superviser tous personnellement et de s’assurer qu’ils sont tous effectivement actifs. Nous avons des agents inactifs chez Tunisair, et d’ailleurs le gouvernement lui-même a reconnu en avoir parmi les 78 000 agents des chantiers municipaux.
Propos recueillis par Lotfi Mansour