Musées : le grand chantier

Ces dernières années, en Tunisie, les amateurs de musées ont souvent eu la déception de trouver portes closes, ou du moins des espaces visitables réduits pour cause de travaux. A Houmt Souk, à Sousse et au Bardo, les musées refaits à neuf grâce à un prêt de la Banque Mondiale ont finalement rouvert leurs portes. Mais à Carthage, Dar Ben Abdallah, Sidi Qacem Jellizi, le Kef, Skanès… les musées sont toujours fermés en partie ou en totalité.

Pourquoi tous ces chantiers entrepris en même temps ? D’abord parce qu’on s’est rendu compte de l’urgence de prendre des mesures pour garantir la conservation des collections. En effet, les périls étaient nombreux : des pièces rares ont été volées. Des tissus anciens, dans des musées des Arts et traditions populaires, ont été infestés d’insectes. L’humidité a endommagé des objets, comme par exemple des manuscrits tachés par la rouille de leurs supports, des bouteilles en verre soufflé perdant leur décor métallique par oxydation… Souvent aménagés dans des bâtiments anciens ou mal conçus, les musées n’offraient pas les conditions adéquates.

Dans les musées rénovés, que ce soit au musée de Nabeul, rouvert en 2000, ou à celui du Bardo, les objets les plus sensibles sont enfermés dans des vitrines sécurisées et à l’atmosphère contrôlée.

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Le musée du Patrimoine traditionnel de Djerba à Houmt Souk : une muséographie moderne dans un bâtiment flambant neuf. On pourra y visiter prochainement l’exposition temporaire “Le Jeune Homme de Byrsa”.

 

Cependant il était tout aussi urgent de moderniser la présentation des collections. L’art des musées évolue sans cesse. Le visiteur d’aujourd’hui n’a plus les mêmes attentes – ni la même culture – qu’il y a cinquante ou cent ans. Un colloque international de muséologues, qui s’est tenu à Gammarth début novembre (le symposium annuel de l’ICOFOM), a été l’occasion d’échanger de nombreuses expériences et de remuer des idées autour de la question : comment remettre le visiteur au centre du musée ?

« Les objets sont fatigués… »

« Les objets sont fatigués », a commenté une conférencière ; montrer les objets ne suffit plus à créer un lien avec le visiteur. Une solution parmi d’autres : miser sur les “affects” ; avec comme exemple extrême le Jewish Museum Berlin, un musée sans objets, où l’architecture se charge de faire vivre “physiquement” aux visiteurs différents aspects de la Shoah…

Le visiteur d’aujourd’hui veut expérimenter, toucher, utiliser les objets (originaux ou en reproduction). Il veut retrouver le contexte dans lequel ils “vivaient” avant d’être “muséalisées”. L’exemple d’un musée de bateaux, en Suède, a été cité : il comporte en son centre un atelier de construction. Autre tendance actuelle, impliquer les habitants dans la vie de leur musée. On a cité le cas, à Berlin, d’un ancien appartement transformé en musée, enrichi spontanément par des Berlinois qui venaient y déposer des objets familiaux chargés de mémoire.
En Tunisie, sommes-nous si loin de ces expériences ? L’exposition “Le Jeune homme de Byrsa” au musée de Carthage jouait déjà sur les “affects” : une succession de salles plongées dans la pénombre évoque une remontée dans le temps, ou une intrusion dans l’intimité de ce jeune Carthaginois dont le squelette a été retrouvé intact. Son mannequin, reconstitué par des moyens scientifiques, et le petit film qui raconte tout le processus introduisent une dimension affective ; on perçoit la tendresse des artisans qui coiffent et habillent le jeune homme, et l’émotion des chercheurs qui font renaître “leur ancêtre”… L’exposition, bien médiatisée, avait d’ailleurs rencontré un succès exceptionnel auprès des Tunisiens.
Faire “toucher” et reproduire les objets, cela existera bientôt au musée du Bardo : les enfants seront invités à se fabriquer leur propre mosaïque grâce à des kits mis à leur disposition dans le cadre du service éducatif. Sans doute, après cette activité, regarderont-ils autrement les chefs-d’œuvre exposés au musée. Faire participer la population à la vie de leur musée est plus délicat. En 2006 et 2009, lorsqu’ont été créés des musées à Moknine et Kesra, des habitants sont venus offrir des objets personnels hérités de leur famille. Mais un universitaire qui a créé à Kerkennah un musée privé rencontre des déboires : il a rassemblé une magnifique collection d’objets traditionnels, mais les Kerkenniens ne veulent pas payer l’entrée pour voir leur propre patrimoine…

Multiplier les événements

Les rénovations en cours sont en train de remettre à jour la muséographie et d’améliorer l’accueil visiteurs. Mais tout cela ne suffit pas à relancer la fréquentation des musées. En effet, le nouveau musée du Patrimoine traditionnel de Djerba, avec son bâtiment moderne où trônent désormais les collections de l’ancien musée de Sidi Zitouni, reste désespérément délaissé. La solution : multiplier les événements pour créer un flux de visiteurs. C’est ainsi que l’exposition “Le Jeune homme de Byrsa” va quitter Carthage pour être présentée dans d’autres villes, et en premier lieu au musée de Houmt Souk. De même, le musée de Carthage va accueillir une nouvelle exposition temporaire sur le thème “Patrimoine volé, patrimoine récupéré”  – un sujet à même de susciter la curiosité…
Les musées relevant du ministère de la Culture auraient assurément besoin de plus dynamisme. Ce qui n’est pas facile vu leur statut actuel : sans autonomie, ils sont de simples services dépendant d’une Direction des musées au sein de l’INP. Pour ne rien arranger, cette direction est restée privée de directeur pendant près d’un an suite aux mouvements au sein de l’INP. D’autres dysfonctionnements empêchent les rénovations en cours de porter tous leurs fruits. Au musée du Bardo, des sessions ont bien été organisées pour présenter les nouvelles salles aux agences de voyages. Mais la plupart des guides qui accompagnent les groupes touristiques, travaillant en free-lance, n’ont pas encore reçu de formation et… se contentent de montrer aux touristes les parties du musée qu’ils connaissent. Dommage, quand on pense que la rénovation et l’extension du musée ont coûté plus de 20 millions de dinars.

GM

 

Quelques rénovations en cours

• Palais-musée de Skanès : l’ancien palais de Bourguiba, de l’architecte Cacoub, transformé en musée, devrait rouvrir dans les prochains mois.
• Eglise-musée d’Enfidha où sont exposées des mosaïques paléo-chrétiennes : réouverture prévue dans les semaines à venir.
• Centre d’interprétation de Kairouan : le bâtiment financé par la banque Mondiale est achevé, il est question d’y transférer le musée de Raqqada, mal sécurisé et trop éloigné du centre-ville.
• Musée de Carthage : fermeture partielle, le musée servant de dépôt pendant le réaménagement du musée du Bardo.
• Musée du Kef, musée Dar Ben Abdallah, musée Sidi Qacem Jallizi : travaux en cours.
• En projet : un nouveau musée de l’histoire husseinite à Ksar Saïd.