La situation est grave, mais elle n’est pas désespérée
La situation du tourisme est-elle seulement grave, ou est-elle désespérée ?
Mohamed Belajouza
Nous venons de tenir notre conseil national hier (le 21 février, ndlr). Les hôteliers sont excédés de voir le climat général du pays et son image se détériorer de jour en jour, alors qu’ils ont pris sur eux de maintenir les emplois et même de confirmer les augmentations salariales convenues avec l’UGTT( augmentations signées le 27 février entre la FTH, la FTAV et l’UGTT). Pour de nombreux hôtels, la situation devient intenable.
Concernant les marchés, la situation est quasiment désespérée pour le marché français. Heureusement qu’il y a d’autres marchés qui se maintiennent ou qui évoluent par rapport à 2012, en occupation et en réservation, comme la Grande-Bretagne par exemple. On peut donc espérer limiter les dégâts moyennant le soutien de ces marchés.
A cet effet, on vient de constituer une commission de suivi entre la FTH, la FTAV et l’ONTT qui initiera des opérations de soutien à nos partenaires TO et notamment à l’aérien, avec un budget du FODEC (fonds de compétitivité financé par les hôteliers et les agences de voyages, ndlr). Ces opérations seront concentrées sur quelques marchés traditionnels comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne, ainsi que sur des marchés d’Europe de l’Est. Le marché russe, par exemple, manque manifestement de liaisons aériennes. Nous pensons que nous devons le stimuler à la hauteur de son potentiel que j’estime à un million de touristes par an, contre 250 000 actuellement.
Ceci dit, il est vrai que le moral des hôteliers est au plus bas et qu’ils doutent de l’engagement du gouvernement en faveur du secteur. Pour avancer, on a besoin de savoir si le pays a encore besoin du tourisme ou non. Ces derniers temps, les décisions qui concernent le secteur se sont prises en dehors des professionnels, et nos interpellations et écrits sont restés sans réponse. Il nous faut donc un changement à ce niveau.
Mais au-delà de tout ce que je viens de dire, le tourisme reste tributaire de deux préalables importants : la sécurité et la propreté des villes . Sans ces préalables, il n’y aura plus de tourisme.
Mohamed Ali Toumi
En dépit des déclarations et des bonnes intentions, le tableau du tourisme tunisien est bien noir, du moins pour les agences de voyages. Ces dernières souffraient déjà, avant la Révolution, du flou juridique concernant l’exercice du métier ; cela a donné lieu à une concurrence déloyale de la part des sociétés de services et d’intrus au secteur, qui ont fait du tort aux agences agrémentées. Le nombre de ces intrus n’a cessé d’augmenter depuis deux ans dans l’indifférence totale de l’Administration. A cela s’est ajoutée la chute de l’activité. Les agences souffrent et trouvent des difficultés à honorer leurs engagements et à payer leur personnel. Il faut rappeler qu’après la Révolution, le ministre du Tourisme de l’époque nous avait appelés à sauvegarder les emplois par patriotisme, avec la promesse de nous aider par des mesures d’engagement. Nous avons maintenu les emplois, convaincus que 2011 était une année exceptionnelle. Mais nous attendons toujours les mesures et aides promises par le Ministère. Tout ce que les agences reçoivent, ce sont les huissiers de justice pour défaut de paiement de la CNSS !
La situation des agences de voyages est difficile, notamment pour celles qui font du réceptif, et plus encore pour les agences du Sud tunisien dont la situation est catastrophique et risque de devenir explosive dans les prochaines semaines.
Il faut encore parler des agences spécialisées dans le MICE (meetings, incentives, congress & events) qui ont vu leur activité s’arrêter complètement. Les agences de Omra ne sont pas mieux loties puisque nous en sommes à quémander un quota qu’on hésite à nous accorder.
Ajoutons que l’activité outgoing souffre de la situation économique du pays. Bref, pour vous donner un chiffre, sur 540 agences adhérentes de la FTAV, aujourd’hui (le 22 février) il n’y a que 15 agences qui ont pu régler leur cotisation.
Que demanderez-vous au prochain ministre du Tourisme ?
M. Belajouza
Qu’on laisse les professionnels remplir leur rôle, notamment dans le marketing de la destination, comme le recommandent toutes les études effectuées à ce jour.
Nous réitérons notre position concernant la nouvelle taxe de 2 dinars par nuitée prévue pour la saison prochaine : cette taxe est inapplicable. D’abord, on ne peut pas demander à un client qui a payé la totalité de son séjour et de ses frais à un tour-operator de payer une somme supplémentaire sur place. Ensuite, on a oublié les clients qui effectuent de longs séjours de deux à trois mois en hiver : pour un couple, ils devraient s’acquitter d’une somme qui devient dissuasive pour ce type de séjours. Il faut souligner que cette taxe va aussi grever le budget des Tunisiens, puisqu’il est prévu qu’elle s’applique à eux au même titre qu’aux étrangers. Pour ces raisons et pour bien d’autres, nous refusons cette taxe.
M. A. Toumi
Nous n’avons rien à dire au futur ministre car les dossiers qui nous tiennent à cœur ne concernent qu’un ministre, et donc un gouvernement, qui auront le temps de les traiter, c’est-à-dire cinq ans.
Le futur détenteur du portefeuille du Tourisme ne restera, au meilleur des cas, que sept à huit mois. Ils lui seront à peine suffisants pour se familiariser avec le secteur. Par contre, nous lui demanderons ce que lui compte faire en sept mois – puisqu’il est censé occuper ce poste pour y appliquer un programme. Et même si c’est l’ancien ministre qui est reconduit à ce poste, je lui poserai cette question, et nous réagirons à la lumière de ses réponses.
Ma conviction est que, durant les deux ans écoulés, on n’avait pas besoin d’un ministère. Ce qui a été réalisé l’a été par des privés qui ont bougé pour sauvegarder leurs intérêts. L’argent public dépensé en ministères et autres a été gaspillé pour rien. Le Ministère a servi peut-être à gérer des affaires administratives mais n’a pas eu d’effet sur le plan économique.
Pire, dans certaines missions effectuées à l’étranger, notamment en France, le ministre du Tourisme a desservi le tourisme, notamment à travers ses déclarations maladroites sur les salafistes.
Ceci dit, si j’avais un conseil à donner, ce serait que le futur ministre se concentre sur les textes de lois qui régissent le secteur, puisque la plupart datent de 1973 et sont obsolètes. Nous n’avons même pas de loi pour la vente en ligne.
M. Belajouza
Ce que vient de dire Mohamed Ali Toumi me rappelle la réplique de M. Fakhfakh quand, à sa nomination, nous sommes allés lui exposer les problèmes du secteur. Il nous a dit, en substance, qu’il était de passage et qu’il ne traiterait pas les problèmes qui lui étaient présentés. Plus généralement, je pense que les gouvernements tunisiens des dernières années ont prouvé leur désintérêt pour le secteur. En effet, sur les dix derniers ministres du Tourisme, la durée moyenne d’exercice a été de 10,5 mois ; et le Tourisme représentait pour eux le premier poste ministériel (à l’exception de Mondher Zenaïdi, ndlr). C’est pour cela que j’appelle à ce que le secteur du tourisme soit dirigé par une personne qui ne soit pas soumise aux aléas des changements ministériels, et donc qui ne fasse pas partie du gouvernement. Nommer un PDG à la tête de l’ONTT me semble la solution la plus adéquate.
Enfin, il faut bien nous débarrasser de cette spécificité tunisienne qui consiste à vouloir faire le tourisme sans les professionnels et sans leurs fédérations.
M. A. Toumi
En Turquie, aucune loi relative au tourisme ne passe sans l’aval de Tursam. Chez nous, on fait comme si les professionnels n’existaient pas. Par exemple, un cahier des charges du transport touristique vient d’être mis au point entre les ministères du Transport et du Tourisme ; ils nous l’ont ensuite envoyé le 19 février pour une réponse le 21 février. La FTAV a donc une journée pour étudier le dossier.
Votre union, où en est-elle ?
M. Belajouza
Elle n’attend que la signature finale qui était prévue lors des Assises du Tourisme, mais celles-ci ont finalement été reportées.
M. A. Toumi
L’union intégrera aussi tous les métiers du tourisme. Mais nous avons un grand problème : notre siège, et plus précisément la cession du terrain sur lequel nous avons déjà commencé à le bâtir selon les engagements des gouvernements précédents. Nous ne comprenons pas pourquoi on nous refuse ce qui a été accepté pour d’autres syndicats.