Témoignages

Ils sont assurément de bons témoins pour donner un aperçu de ce qu’ont été le lancement et le développement de la chaîne Abou Nawas. Raouf Ben Amor a été responsable de l’animation puis Directeur de la Communication au sein du CTKD (il est actuellement consultant en évènementiel culturel), et Hédi Métahni et Talha Housseini détiennent le record de longévité comme directeurs généraux à l’Abou Nawas.

Hédi Métahni

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Racontez-nous vos débuts à l’Abou Nawas…

Hédi Métahni
J’ai débuté en 1983, à 26 ans, comme chef Réception à la Résidence Diar El Andalous qui est devenue ensuite Abou Nawas Alhambra. En 1985, je suis nommé directeur d’hébergement à Abou Nawas Hammamet ouvert en mai, et en septembre Abdelwaheb Soua me donne mon titre de DGA. En 1988, je deviens directeur résident à Monastir. Ensuite j’ai occupé le poste de Directeur Général dans divers hôtels dont j’ai finalement cumulé la direction comme le Mechtel, Le Palace, l’Abou Nawas Tunis.

Que retenez-vous de l’Abou Nawas ?

Pour moi, l’Abou Nawas est le résultat de la rencontre d’une volonté politique avec les grands meneurs d’hommes qu’étaient le trio Ahmed Al Ibrahim, Abdelwaheb Soua et Faouzia Belajouza. Il y a eu aussi l’apport de grands techniciens et directeurs généraux d’hôtels dont feus Rachid Ben Amara et Achour Gara, Talha Housseini, Chadli Jaziri [quelques jours après cette interview, on a appris le décès de Chadli Jaziri, toutes nos condoléances à sa famille et ses amis, ndlr], et bien d’autres comme Annick Mahjoub au marketing… ils étaient tous des références dans leur domaine.

Abdelwaheb Soua est souvent cité comme la référence en matière d’exploitation, à quoi doit-il cette réputation ?

Abdelwaheb Soua était un grand technicien doublé d’une forte personnalité. A titre d’exemple, je me rappelle une anecdote avec feue Wassila Bourguiba, avant l’ouverture de l’Abou Nawas Hammamet. Chadli Jaziri devait y être nommé DG et Soua l’avait envoyé pour cela en stage au Sheraton Dubai. Un jour, Wassila Bourguiba vient visiter l’hôtel où je la reçois en tant que Directeur de l’Hébergement. Elle s’enquiert du nom du DG et je lui réponds qu’il s’agit de Chadli Jaziri. Elle me demande : d’où est-il ? Je réponds : du Sud tunisien. Elle s’exclame alors : « Non, non, on va nommer Nounou ici » en parlant de Noureddine Brahim qui était un de ses proches. Là-dessus, j’appelle Abdelwaheb Soua pour lui dire que j’ai à lui parler. Lorsque je lui raconte l’histoire, il me dit carrément : « Qu’elle aille se faire voir ailleurs ». Et c’est le DG prévu par lui qui a été effectivement nommé. Cette rigueur a quasiment disparu après Abdelwaheb Soua.

Qu’avez-vous appris à l’Abou Nawas ?

J’ai tout appris à l’Abou Nawas et auprès d’Abdelwaheb Soua. Dans l’esprit de ce dernier, il y avait des étapes indispensables pour devenir un directeur d’hôtel : il fallait passer par l’hébergement, puis être DGA etc. Et à chaque étape, il y avait les stages de formation adéquats. Par exemple, un directeur qui s’apprêtait à gérer un club devait passer un stage dans un club similaire à l’étranger. J’ai pu profiter de toutes sortes de stages ; il m’a même envoyé en stage de catering chez Sabena.

Votre meilleur souvenir à l’Abou Nawas ?

J’ai laissé quelques résultats record qui n’ont pas été dépassés à ce jour. Il faut dire que la chaîne Abou Nawas était une expérience unique pour un jeune cadre par l’émulation qui y existait. Même si elle n’offrait pas les meilleurs salaires, il y avait de la considération et la chaîne, par son développement, offrait des perspectives de promotion à ses cadres qui étaient inexistantes ailleurs.

Votre plus mauvais souvenir ?

Mon plus mauvais souvenir, c’est quand il a fallu accompagner les policiers à l’hôtel Le Palace pour en faire sortir Ahmed Al Ibrahim. J’en étais malade, mais je devais exécuter les ordres. Ahmed Al Ibrahim était plus tunisien que les Tunisiens. Ses problèmes ont commencé après la Guerre du Golfe et son expulsion était un problème entre Koweitiens. Son départ annonçait la fin de l’Abou Nawas, même si les PDG qui l’ont suivi n’ont pas démérité ; mais il manquait la volonté politique du côté koweitien.

 

Raouf Ben Amor

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Comment êtes-vous arrivé au CTKD ?

Raouf Ben Amor
Le PDG d’alors était Abdellatif El Hamad, et Ahmed Al Ibrahim était DGA. Il y avait à ce moment Sami Ben Khlifa (Marketing), Ridha Ben Zakour (Directeur d’exploitation) et Faouzia Belajouza (DAF) ainsi qu’Adel Boussarsar, Vice-président nommé par l’Etat tunisien.
Je suis arrivé au CTKD par hasard, car j’avais été recruté par Lotfi Belhassine pour m’occuper du festival de Tabarka 1978 : « Ne pas bronzer idiot ». Après, Lotfi Belhassine a eu le projet d’ouvrir un bureau du Club Aquarius à Tunis et m’a nommé représentant. Entre-temps, il était devenu conseiller du CTKD et m’a désigné pour assister à des réunions du Consortium.
Lors d’une visite en Tunisie du Ministre des Finances du Koweit et premier conseiller de l’Emir, j’ai été désigné pour l’accompagner ; une mission supposée difficile au vu du rang et de l’importance du Ministre. Je m’en suis, semble-t-il, bien acquitté puisqu’elle m’a valu les éloges publics dudit ministre. C’est ainsi que, quand le CTKD a eu le projet d’ouvrir un bureau au Koweit, j’étais naturellement désigné pour la mission sous prétexte que « j’avais mis le ministre des Finances dans ma poche » ! Je suis donc parti au Koweit pour ouvrir la première agence Abou Nawas Travel, avec la bénédiction de Lotfi Belhassine que j’ai dû quitter.

Quels étaient vos rapports avec Ahmed Al Ibrahim ?

Quand nous nous sommes connus, il était encore DGA. Comme il était fan des arts et des artistes, c’est tout naturellement que nous nous sommes rapprochés l’un de l’autre et que je l’ai introduit dans le milieu du théâtre à Tunis. De cette affinité est né plus tard, en 1986, l’espace El Teatro au complexe El Mechtel. A ce moment-là, la loi imposait de construire une salle de cinéma dans chaque nouveau complexe. Au Mechtel, il y en avait deux que personne n’a voulu louer. J’ai convaincu Ahmed Al Ibrahim, devenu PDG, d’en faire un espace de création et un théâtre. Donc je peux dire que la rencontre d’Ahmed Al Ibrahim a été déterminante dans ma carrière au CTKD ; j’ai quitté celui-ci deux semaines après le départ d’Al Ibrahim.

Justement, parlons de cette carrière. Vous avez été à l’animation et je vous ai connu directeur de la Communication…

J’ai passé environ une dizaine d’années à m’occuper de l’animation. A mon retour du Koweit, feu Abdelwaheb Soua m’a demandé d’établir un manuel pour l’animation. Pour cela, j’ai demandé et obtenu un stage au Méridien de Dakar (grâce à une recommandation de Lydie Trigano, fille du propriétaire du Club Med), où s’expérimentait à ce moment-là un nouveau concept d’animation pour les hôtels de ville. Leur équipe d’animation comptait une cinquantaine de membres et toutes sortes d’activités étaient programmées, à commencer par la pêche à l’aube et jusqu’au concert le soir. Et c’est là que j’ai dû mettre au point un manuel avec des programmes d’animation pour les clubs mais aussi pour les hôtels. Il y avait des sketchs issus du patrimoine culturel tunisien. Les animateurs accomplissaient un stage de six mois au Théâtre National – des stages dirigés par Mohamed Driss – suivi par des cycles de perfectionnement, et bénéficiant du soutien de responsables comme Hédi Métahni et Néjib El Abed. On a fini par un concours national des animateurs qui clôturait l’année. C’était en 1985 et on savait déjà que le soleil et la mer n’étaient plus suffisants pour séduire les clients.
En 1992, au moment où Ahmed Al Ibrahim est allé passer son service militaire, Serge Adda est venu me chercher pour le rejoindre à TV5 où je suis parti comme détaché du CTKD. A son retour, Ahmed Al Ibrahim a exigé que je revienne, et pour cela j’ai demandé le poste de Directeur de la Communication.

Qu’avez-vous retenu de l’Abou Nawas ?

Je retiens une certaine fierté d’avoir participé à une belle aventure humaine. Certains des animateurs que j’ai supervisés sont actuellement des directeurs généraux d’hôtels en Espagne et ailleurs. Fierté aussi quand je me balade dans la rue et que des gens m’interpellent pour me dire : « A quand un nouveau Jazz Club ? » ; ce club que j’avais lancé à Gammarth accueillait les plus grandes stars du jazz. Côté organisationnel, j’appréciais l’existence d’une politique et de budgets dédiés, que ce soit à l’animation ou à la communication.

 

Talha Housseini

Entré en 1983 à l’Abou Nawas – en tant directeur résident du Diar El Andalous – Talha Housseini a été un des derniers à en sortir, en 1997, année où il a dû quitter son hôtel préféré, l’Abou Nawas Gammarth. Aujourd’hui Directeur Général de l’Hasdrubal Hammamet, il s’apprête à prendre sa retraite le 31 décembre prochain.

Talha-Housseini

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Que retenez-vous de l’Abou Nawas ?

Talha Housseini
La pointure de ses dirigeants comme Abdelwaheb Soua, Ridha Ben Zakkour, Faouzia Belajouza, Ahmed Al Ibrahim. Cette chaîne se distinguait par son sérieux dans la gestion, la qualité de ses services et sa culture d’entreprise qui est à l’image de l’Hasdrubal maintenant. A l’Abou Nawas, on engageait les meilleurs directeurs d’hôtels, qui ensuite se perfectionnaient au sein de la chaîne et amélioraient chaque jour le rendement de leurs unités.

Qu’y avait-il de mauvais au sein de l’Abou Nawas ?

Honnêtement, je ne retiens rien de mauvais jusqu’à l’année 1991 et le début la Guerre du Golfe.

Et votre meilleur souvenir ?

C’est incontestablement mon passage à l’Abou Nawas Gammarth, où j’ai connu beaucoup de gens de tous les domaines. Je trouve dommage que cet hôtel soit maintenant quelque peu dénaturé : la piscine Le Saf-Saf ne s’appelle plus ainsi, les apparthôtels ont été rasés et on parle de la création d’un parking aérien… Je suis peut-être nostalgique, mais je trouve que c’est une partie de l’âme de cet hôtel qui s’en va.

 

Propos recueillis par Lotfi Mansour

Hommage
Achour Gara : un directeur de la caste des grands

Achour-Gara

Il fait certainement partie des grands de l’hôtellerie, de ces premiers directeurs formés à l’étranger, et qui ont dû prendre en main la destinée des premiers “grands hôtels” tunisiens pour y introduire les procédés et méthodes appris ailleurs. Achour Gara est décédé au début des années 2000, au sommet d’une carrière bien remplie que sa femme, aujourd’hui professeur d’économie à Nabeul, a bien voulu retracer pour nous.
Après des études de tourisme à Strasbourg dans les années 60, Achour Gara débute sa carrière à Londres dans un hôtel indépendant. Puis il est recruté au début des années 70 par Sheraton qui le nomme en Belgique avant de l’envoyer en Amérique Latine. Au début des années 80, il est nommé Directeur Général à l’Abou Nawas Diar El Andalous, avant d’être recruté par la chaîne Intercontinental pour diriger un hôtel en Arabie Saoudite. Revenu en Tunisie quelques années plus tard, il réintègre la chaîne Abou Nawas, au Mechtel d’abord, à Hammamet ensuite. C’est en 1994 qu’il prend en main l’Abou Nawas Tunis, hôtel qu’il a marqué de son empreinte avant de commencer sa lutte contre la maladie. Il finira sa carrière et sa vie à l’Abou Nawas Africana de Hammamet.
Fut-il un hôtelier heureux ? « Oui, notamment par les éloges qui lui parvenaient sur la bonne marche des hôtels qu’il dirigeait comme Tunis ou Hammamet », répond sa femme. Toutefois, elle ajoute qu’il a été déçu par le traitement que sa chaîne lui a réservé à la fin. Mais il est vrai qu’à ce moment-là, la chaîne n’était déjà plus que l’ombre de ce qu’elle fut.