Dans les capitales occidentales, l’appétit du Qatar pour les hôtels de luxe semble sans limite. En fins investisseurs, les Qataris misent sur des valeurs sûres. Des “Trophy assets” comme disent les spécialistes, dont la rentabilité est quasi certaine, et que ne peuvent s’offrir les investisseurs locaux en manque de liquidités. Des établissements dont ils confient aussitôt la gestion à des sociétés réputées telles que Hyatt ou Intercontinental. De Londres à Paris, le Qatar est courtisé pour son image d’investisseur stable et surtout pour son cash. Il n’en va pas de même en Tunisie, où le Qatar alimente plus les rumeurs que les comptes en banques.
Au début était la QIA (Qatar Investment Authority), le fonds souverain créé pour gérer les quelque 50 milliards US$ d’excédents budgétaires du pays. Elle était gérée par l’Emir et son Premier ministre, avec le prince héritier Tamim au poste de Président du conseil d’administration. Depuis, la QIA a enfanté deux entités : Qatar Diar pour l’immobilier, que dirige Youssef Kamel, ministre de l’Economie, et Qatar Holding pour les investissements stratégiques dans les sociétés étrangères, avec à sa tête le Premier ministre Hamad Bin Jassem Al Thani. Autour de ces entités, diverses sociétés ont été créées, dont Katara pour les investissements dans l’hôtellerie, laquelle est gérée par le propre frère du Premier ministre.
Depuis quelques années, la QIA et ses émanations ne cessent de faire la une de la presse économique européenne en injectant des milliards dans le rachat des murs et des fonds de commerce de quelques-unes des enseignes les plus prestigieuses de l’hôtellerie ou du luxe. Ainsi, après avoir acquis le Royal Monceau à Paris (330 millions US$), le Qatar vient de racheter le Concorde Lafayette et l’Hôtel du Louvre à Paris, ainsi que le Carlton Martinez à Cannes et le Palais de la Méditerranée à Nice ; le tout pour un montant estimé à quelque 700 millions d’euros.
En Suisse, après le rachat de trois hôtels luxueux en 2008, Katara Hospitality annonce un complexe hôtelier « d’un milliard de francs suisses » pour 2014. Plus récemment, les Qataris se sont offert l’Intercontinental Park Lane à Londres pour 457 millions US$.
A Londres, justement, Qatar Holding est propriétaire de l’enseigne Harrods, sous la marque de laquelle il compte lancer une chaîne mondiale d’hôtels de luxe dans des villes comme Londres, New York, Kuala Lumpur, Paris ainsi qu’en Sardaigne. Dans la capitale française, le futur hôtel Harrods pourrait bien se situer dans le prestigieux immeuble du 52-60 avenue des Champs-Elysées dont le Qatar est propriétaire.
Le Qatar est aussi propriétaire de la marque Buddha Bar sous laquelle il ouvrira bientôt un hôtel à Paris dans le huitième arrondissement. Presque tous ces investissements sont le fait de Constellation Hotels, une société luxembourgeoise filiale de Qatar Holding.
Pour l’Afrique du Nord, c’est souvent Qatar Diar qui prend le relais, avec une logique bien différente. La priorité est donnée au lancement (ou aux promesses de lancement) de grands resorts touristiques avec l’acquisition préalable de grands terrains à bas prix. C’est le cas en Tunisie (40 hectares à Tozeur) et au Maroc (34 000 hectares entre Rabat et Casablanca). Il arrive aussi que ces terrains soient cédés gratuitement comme ça était le cas récemment (octobre 2012) lorsque l’Etat gambien a offert un terrain de 18 hectares à Katara Hospitality pour y ériger un complexe touristique.
Bref, dans nos contrées, la préférence du Qatar va aux “terrains pas chers” plutôt qu’à la “belle pierre”.
Depuis la pose de la première pierre en juillet 2012, le futur Tozeur Desert Resort attend le début des travaux. (Image 3D extraite du site Qatari Diar).
En Tunisie : mystère et boule de gomme
En Tunisie, l’opacité qui entoure les investissements du Qatar n’est pas près de se dissiper suite aux polémiques récentes sur le rôle de l’Emirat et son ingérence supposée dans la politique tunisienne. Dans le secteur hôtelier, l’image des Qataris, qu’ils aient eu réellement l’intention d’investir ou pas, est déjà chahutée par les rumeurs qui les présentent plutôt en vautours qu’en investisseurs. On prétend en effet qu’ils seraient, avec des Turcs, derrière la future Société de Gestion d’Actifs qui viserait à mettre la main « pour une bouchée de pain » sur une centaine d’hôtels tunisiens endettés.
Le fait est que – peut-être justement à cause des rumeurs – l’investissement du Qatar dans le tourisme tunisien relève davantage des déclarations d’intention. Il se limite pour l’instant au projet Tozeur Desert Resort (conclu du temps de Ben Ali et confirmé par l’actuel gouvernement) et à l’achat en 2012 de la société Tabarka Beach, propriétaire de l’hôtel du même nom et du Golf de Tabarka. Mais ces deux acquisitions continuent de susciter plus de questions que d’enthousiasme.
En effet, les 40 hectares acquis à Tozeur par Qatar Diar pour la somme de 6 millions de dinars, et censés accueillir un complexe touristique de luxe avec un investissement total de 80 millions US$, attendent toujours les débuts des travaux, sans cesse retardés depuis l’acquisition du terrain en 2011.
Concernant la société Tabarka Beach, l’identité de l’acquéreur « qatari » est restée secrète. Il s’agirait d’une société libanaise appartenant en fait à un membre éminent de la famille Al Thani. L’hôtel ainsi que le Golf de Tabarka n’auraient coûté à leur acquéreur que la valeur nominale des actions. Un achat assorti d’une promesse d’ériger un grand projet technologique de dimension internationale aux alentours (où les Al Thani sont propriétaires d’autres terrains). Ce projet est resté lettre morte, même si l’hôtel a été rénové pour, croit-on savoir, quelque 20 millions de dinars dans le but d’en faire à son ouverture, prévue en juillet prochain, un Leading Hotels of the World.
La société propriétaire du Tabarka Beach s’apprêterait, selon une source proche des Qataris, à acquérir « au moins cinq hôtels de catégorie supérieure dans différentes régions ». Des promesses que personne ne sera tenu d’honorer puisqu’elles sont « anonymes ».
Avec 26 hôtels (soit 5000 chambres) en exploitation ou en cours de construction et situés à Singapour, Paris, Berne, Londres, Tanger et Sharm El Sheikh, Katara Hospitality vise à « devenir l’un des leaders mondiaux de l’industrie hôtelière », selon son président exécutif Hamad Abdulla Al-Mulla (Chief Executive Officer). Selon un récent classement réalisé par Ernest& Young et cité par le site web de Katara, la première chaîne hôtelière qatarie est déjà classée 17ème dans le monde.
Une autre acquisition qatarie non confirmée pourrait être celle de l’hôtel Russelior à Hammamet, dont on dit qu’il aurait été acheté par Tarek Ben Laden (frère de l’autre). Ben Laden ou pas ? Il pourrait s’agir encore une fois de Qatari Diar, puisque ce dernier a signé en 2010 une joint-venture avec le Saudi Ben Laden Group, créant ainsi le Qatari Ben Laden Group (QBG) que dirige un autre Ben Laden, Omar, un des fils d’Oussama. D’où peut-être la discrétion partagée des Tunisiens et des Qataris à ce sujet.
Il faut enfin citer l’intention de la chaîne qatarie Retaj Hotels « d’ouvrir cinq hôtels en Tunisie ». La chaîne hôtelière n’a pas trouvé meilleur endroit pour cette annonce que le sommet arabe tenu à Doha à la fin du mois de mars. De quoi accréditer la thèse selon laquelle l’investissement du Qatar dans les pays arabes est subordonné à son influence politique, ou du moins à ses intérêts diplomatiques.
On le voit donc bien, contrairement à sa stratégie européenne, et malgré sa proximité avec Ennahda, le Qatar semble se contenter en Tunisie “d’options” d’investissement, qui seraient une manière de “jouer la montre” dans l’attente de l’issue des prochaines élections.
LM