Soyons ambitieux !

La ruée des professionnels tunisiens vers Moscou à l’occasion du Salon MITT – ils étaient près de 200 à se déplacer – marque une prise de conscience du potentiel de ce marché qui émet pas moins de 16 millions de touristes par an. Une prise de conscience qui laisse espérer une mobilisation pour une gestion plus ambitieuse de ce marché.
En effet, l’objectif assigné qui est d’atteindre les 450 000 arrivées de Russes à l’horizon 2015 reste modeste au regard, par exemple, des 2 millions de clients que vise le Maroc en 2020 (il n’en reçoit aujourd’hui que 30 000, concentrés notamment sur Agadir). Cet objectif est surtout modeste comparé aux
3 millions d’arrivées russes que réalise actuellement la Turquie, même si celle-ci peut compter sur ses propres tour-operators qui figurent parmi les plus grands en Russie.

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Les stations balnéaires sont la principale
motivation de voyage des Russes.

Nos objectifs pourraient être plus ambitieux au vu de la richesse de la Tunisie en stations balnéaires, principale motivation de voyage des Russes. Pour eux, la Tunisie peut rester attractive en dehors de l’été grâce à la thalassothérapie et aux stations balnéaires du Sud comme Djerba. De plus, des tour-operators tunisiens ou russes sont déjà bien engagés sur la destination. Le leader du marché Pegas Touristik est déjà locataire de plusieurs hôtels à Monastir et à Hammamet. Carthage Plus, avec son partenaire Biblio Globus totalisant plus de 100 000 clients sur la Tunisie, étoffe sa programmation aérienne pour la saison prochaine.
Au vu des incertitudes qui pèsent sur les marchés traditionnels, un peu d’audace de la part des décideurs tunisiens serait la bienvenue, et notamment pour résoudre un double handicap :
– la faiblesse de la programmation aérienne notamment en hiver,
– le manque de moyens financiers et humains au sein de la représentation tunisienne en Russie.
Le salon MITT aura servi à hâter les décisions allant dans ce sens, avec notamment, assure Habib Ammar, DG de l’ONTT, « l’allocation d’un budget de plus de 2 millions d’euros pour une campagne de publicité qui débutera dans sept villes russes fin avril-début mai, et l’invitation prochaine des tour-operators qui ne programment pas la Tunisie ». Il était temps.

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Le stand de la Tunisie a été primé meilleur stand du salon MITT.




Ministère du Tourisme : changement et continuité

Avec la nomination de Jamel Gamra, le portefeuille du Tourisme conserve son record de plus faible longévité pour un ministre. Cependant, cette nomination comporte une nouveauté : c’est désormais Ennahda qui s’occupe du Tourisme. Non seulement en la personne du nouveau Ministre – même si on veut le parer de l’étiquette d’indépendant – mais aussi à travers un nouveau conseiller “mystère”, précédemment conseiller du Chef du gouvernement Hammadi Jebali pour le tourisme, que personne ne connaît ni ne nomme…
Ce changement est en soi une bonne nouvelle puisqu’il semble signifier que le parti au pouvoir se défait de ses “complexes” et a la volonté de relever le défi ; de réussir là où le parti prétendument “moderniste” Ettakatol a manifestement échoué. En ce qui nous concerne, nous ne pouvons que dire : chiche ! – puisqu’il vaut toujours mieux avoir affaire au bon Dieu qu’à ses saints.
Encore faut-il qu’Ennahda se défasse de quelques préjugés et idées préconçues sur le tourisme en général, et le tourisme tunisien en particulier. Le message que nous attendons et qu’attendent les marchés est double :
– qu’on cesse de surtaxer un secteur dont la compétitivité est réduite à zéro après deux années d’incidents et de mauvaise presse. Le fameux rapport qualité/prix qui nous avantageait jadis face à quelques concurrents est désormais bien entamé : la qualité de nos prestations tend à baisser, notre personnel n’est pas toujours aimable, nos villes sont sales et nos prix de revient battent des records de hausse. Dans ce contexte, la nouvelle taxe de séjour de 2 dinars par nuitée est une aberration et les TO annoncent déjà leur refus de la faire payer par leurs clients. Certains, comme Thomas Cook, refusent même de signer les contrats de l’année prochaine si cette taxe n’est pas supprimée. Rappelons que ces contrats sont habituellement signés en ce mois d’avril au plus tard ;
– que le parti au pouvoir cesse de jeter l’opprobre sur le tourisme, comme avait cru pouvoir le faire Abou Yaareb Al Marzouki (désormais repenti d’Ennahda, mais pas de ses anciennes déclarations). Que M. Gamra nous dise que le tourisme n’est pas contraire à l’islam puisqu’il est dit clairement dans le Coran (verset 13 Sourate 49) « O Humains ! Nous vous avons créés à partir d’un mâle et d’une femelle et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus afin que vous vous connaissiez entre vous ». Moyen de connaissance entre les peuples, le tourisme est aussi le meilleur moyen de lutter contre le racisme, comme le dit l’imam Chalghoumi (voir notre entretien avec Hassen Chalghoumi). Le tourisme est surtout un secteur essentiel de l’économie au niveau mondial, avec 9% du PIB mondial et 235 millions d’emplois (8% de l’emploi mondial). Un poids qui devrait croître dans les prochaines années, avec 296 millions d’emplois prévus d’ici 2019. En Tunisie, les 400 000 employés directs du tourisme sont des hommes et des femmes parmi les meilleurs jardiniers, cuisiniers, agents administratifs, managers, financiers, informaticiens, ingénieurs, techniciens… Ces hommes et ces femmes sont inquiets et méritent d’être réconfortés.
Et pour finir, il faudrait que notre ministre se prépare à répondre à LA question que ne manqueront pas de lui poser les journalistes étrangers : qui a tué Chokri Belaïd ?

 Lotfi Mansour

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Nominations




Jalel Bouricha nous manquera

Enterré jeudi 27 mars au cimetière du Jellaz, Jalel Bouricha, propriétaire de Yadis Hotels, a succombé à une crise cardiaque à l’âge de 55 ans. Dans la dernière interview qu’il nous a accordée en avril dernier, il était le premier et le seul à dénoncer publiquement l’accord de soutien à l’aérien en s’exclamant : « Le FODEC n’est pas fait pour soutenir Tunisair. » Il a été entendu, et les modalités de ce « soutien à l’aérien » sont révisées.
Pour expliquer sa mort soudaine, on l’a dit fatigué par la charge de travail que lui imposait l’ouverture prochaine de l’Impérial à Djerba, inquiet de la situation du tourisme tunisien. Mais le vrai mal de Jalel Bouricha était de n’avoir pas su, contrairement à beaucoup de ses confrères, se fabriquer la carapace qui permet de tout traverser, de tout subir.
En lui, on regrettera une personne dont on apprenait à apprécier les défauts avant les qualités ; un patron qui ne se prenait pas au sérieux, qui ne s’enjolivait pas lui-même, qui ne bridait pas ses émotions et se laissait aller à des colères et à de franches rigolades qui faisaient le plaisir de ses interlocuteurs.
Un grand patron avec qui on peut “déconner”, c’est rare. Son sourire nous manquera.

LM



Le n°15 vient de paraître

Au sommaire du numéro 15 :


– Table ronde : les TO tunisiens en France
Leur diagnostic, leurs solutions.

– Demain les seniors
Les seniors, notre avenir ?
7 atouts pour la clientèle seniors.

– Actualité
Marché russe : soyons ambitieux !
Radisson Hammamet : un paradis pour Happy few.

– Tranches de vie
Takoua Aouida (Odyssée Resort & Thalasso).
Tahar Mrad (Seabel Alhambra Beach Golf & Thalasso).




ONTT-Marketing : vacance

Le poste de Directeur Central Marketing à l’ONTT est toujours vacant depuis le départ de Ferid Fetni pour Syphax Airlines, au début de mars.




Assemblée élective de la FTH reportée

A la suite du décès de son vice-président, Jalel Bouricha, la Fédération Tunisienne de l’Hôtellerie reporte encore une fois son assemblée élective, prévue le 2 avril, à une date ultérieure, probablement au mois de mai prochain.




Jalel Bouricha n’est plus

Le PDG du groupe Yadis n’est plus. Son décès est survenu hier soir à son retour de Djerba. Nous présentons nos sincères condoléances à sa famille et à ses collaborateurs.
Nous perdons un ami et un grand professionnel.




«Pour moi, ici, c’est mon paradis !»

Christine passe en moyenne six mois chaque année à Zarzis, dans le même hôtel – l’Odyssée Resort & Thalasso – par périodes de deux mois environ. Et cela fait quinze ans que ça dure. Elle justifie ce choix par des raisons économiques : comparé aux dépenses de chauffage, d’alimentation, de transport qu’elle aurait à payer chez elle, à Metz, le prix d’un long séjour à l’hôtel est peu de chose. « Plus on reste longtemps, plus c’est intéressant. »

Pourtant elle a visiblement d’autres raisons de revenir. Année après année, Christine est devenue une vraie militante de la Tunisie. « En France, on m’a dit : tu es folle d’aller en Tunisie, tu risques ta vie. Alors que dans la rue les gens viennent me serrer la main ! Les journalistes en font tout un plat, mais pour moi tout est normal. Quoi qu’ils puissent dire à la télé, je viendrai toujours ici. Je n’ai rien changé de mes habitudes. »

Ses habitudes, c’est beaucoup de promenades, en ville ou sur la plage avec son petit chien. Elle a maintenant des amis à Zarzis. De plus, son fils est venu passer une semaine avec elle. Et deux couples de ses amis à qui elle a fait connaître l’hôtel sont devenus à leur tour des habitués. « Je suis plus heureuse ici que chez moi en France ; à l’hôtel, c’est devenu ma famille. Pour moi, ici, c’est mon paradis ! »




Tourisme : qu’on nous explique !

«Tout Etat fait la politique de sa géographie », disait Napoléon. Depuis son indépendance, l’Etat tunisien a suivi ce précepte de bon sens. La Méditerranée est notre espace vital avec lequel nos échangeons et dialoguons. Notre histoire et notre peuple sont mêlés à ceux des pays de la Méditerranée, depuis Hannibal jusqu’à nos jours.
La politique touristique du pays n’a pas dévié de ce principe : nous sommes une destination moyen-courrier et nos principaux marchés sont à moins de trois heures de vol, sinon de voiture, comme c’est le cas pour nos voisins algériens et libyens.
Aujourd’hui, l’Etat nahdhaoui semble tout faire pour extraire la Tunisie de sa géographie et de son histoire afin de mieux servir des objectifs qu’il est le seul à connaître. Sinon, comment expliquer la détérioration de nos relations avec nos principaux partenaires et voisins que sont l’Algérie et la France – l’Algérie et la France qui sont aussi nos premiers marchés émetteurs de touristes ?
Cette détérioration coïncide avec l’entente nouvelle et, faut-il le préciser, inédite qu’affichent ces deux pays dans la lutte contre le djihadisme dans la région. Manifestement, un tel rapprochement contrarie nos gouvernants, dont les déclarations étaient plus amènes envers la France de Sarkozy alliée des Qatari ; ce même Sarkozy qui officie aujourd’hui en tant que lobbyiste du Qatar. Est-ce aussi le cas de nos dirigeants actuels ?
Si les entreprises du tourisme sont appelées à faire leur deuil du marché français et de la saison entière, ils ont au moins le droit de savoir la raison de ce sacrifice. Si, comme on dit, « les Etats n’ont pas d’amis, mais que des intérêts », il va falloir qu’on nous explique l’intérêt que nous avons à jouer les Don Quichotte avec les deux puissances régionales en Méditerranée, qui plus est, notre voisin direct auquel nous sommes liés par l’histoire et par le sang, et notre premier fournisseur, premier client et premier marché émetteur de touristes.
Si l’intention du prochain gouvernement est de changer les bases du tourisme tunisien en le réorientant vers la clientèle des pays du Golfe, qu’il nous explique comment ces marchés, qui avec 39 000 arrivées en 2012 détiennent le record de la plus forte baisse de l’année (-63% !), vont pouvoir remplacer les 3 millions de visiteurs européens.
Et si l’intention d’Ennahda est de convertir l’ensemble de la population qatari en touristes pour la Tunisie, qu’elle nous explique comment ces 350 000 touristes hallal suffiront à remplacer dans nos hôtels les 1,4 millions de Français et un million d’Algériens qui visitent chaque année notre pays.
Autrement, qu’ils nous épargnent les discours creux à la Kadhafi et les effets de manche.

Lotfi Mansour