Partager la publication "«Le tourisme est le meilleur moyen de lutter contre le racisme»"
Dans un récent sondage, on apprend que 74% des Français ont peur de l’islam. A quoi cela est-il dû selon vous ?
Hassen Chalghoumi
On vient de passer une année difficile. Il y a eu l’affaire Merah, les déclarations sur la viande hallal ou le pain au chocolat, la guerre au Mali… Tout cela aboutit à ce résultat : les Français ont peur de l’islam. Cela nous montre aussi une méconnaissance de l’islam de la part des Français, qui l’associent à ces groupes de malades extrémistes. La conclusion qu’il faut tirer de ce sondage, pour les musulmans, est de s’ouvrir aux autres et de mieux faire connaître notre religion.
Nous, en Tunisie, on a l’impression que les islamistes qui nous viennent d’Europe sont encore plus dogmatiques que ceux qui vivent ici. A Ennahda par exemple, les “faucons” sont surtout des gens qui ont vécu dans les démocraties européennes. Est-ce l’Europe qui nourrit l’extrémisme religieux ?
H. Chalghoumi
Je partage votre avis, les islamistes d’Europe sont tentés par la surenchère et ont plus de facilité à manipuler les gens. Leur discours comprend plus de politique que de religion. En Tunisie, pays musulman depuis quatorze siècles, la tradition et la pratique musulmane modèrent les positions, et personne ne peut prétendre inventer la religion ou se l’accaparer.
Dans votre cas, vous semblez avoir fait le chemin inverse puisque vous êtes passé du Tabligh – certains disent même du salafisme – à un islam plus ouvert aujourd’hui…
H. Chalghoumi
Là, il y a confusion. On ne peut être tabligh et salafiste à la fois, ce sont deux visions différentes. Bourguiba et Ben Ali n’étaient pas aveugles, ils n’ont pas interdit toute la religion : ils ont laissé le Tabligh et les soufis, pour la simple raison que nous ne mêlons pas la religion à la politique. Pour le Tabligh, la religion est sacrée, la politique ne l’est pas. Mes études au Lycée Alaoui et à la Zitouna, et surtout l’éducation de mes parents, m’ont rapproché des tablighs et des soufis car ils sont intéressés par les valeurs morales et non par l’argent. Ils sont ouverts aux autres religions qu’ils nomment « les Gens du Livre », comme il est écrit dans le Coran, alors que d’autres en parlent comme des « gens de l’enfer ». Avec mes voyages (Syrie, Inde, Iran, Pakistan, ndlr), j’ai mieux connu l’humanité qui est la Oumma dont parle l’islam. L’islam inspire la miséricorde, l’amour et la quiétude et non pas la peur.
En France les gens ont peur de l’islam, et en Tunisie aussi. Le Tunisien était très attaché à sa religion, même s’il ne le montrait pas publiquement ; aujourd’hui des Tunisiens ont peur de leur religion, et certains vont jusqu’à en changer. Je conçois que changer de religion est une liberté personnelle ; mais je me pose la question de la cause de ce phénomène nouveau en Tunisie, qui n’est autre que la dureté et la violence des pseudo-religieux qui défigurent l’islam.
Puisque votre revue traite du tourisme, je vous dirais que l’islam est porteur des valeurs du tourisme, à savoir l’ouverture et l’accueil de l’autre…
Et pourtant un de nos ministres, qui a démissionné depuis, a cru pouvoir qualifier le tourisme de « prostitution déguisée ».
H. Chalghoumi
L’auteur de tels propos doit souffrir de quelques maladies ou déséquilibres psychiques et doit consulter un médecin. Pour l’anecdote, je vous raconterai l’histoire d’un sous-préfet français que j’ai rencontré il y a un an. Il me disait qu’il avait toujours voté pour la droite extrême parce qu’il n’aimait pas les Arabes et les musulmans. Sur l’insistance de sa femme qui voulait passer des vacances au soleil, il a dû concéder à faire un séjour au Maroc. Durant son séjour, il a été comblé par la gentillesse, la prévenance et les bonnes mœurs des musulmans. A son retour, il a trouvé sur son bureau une douzaine de dossiers de régularisation de Maghrébins et il a donné un avis favorable à tous ! Alors moi, je dis que si le tourisme joue ce rôle-là et peut lutter contre les préjugés, il nous faut encourager le tourisme.
Pour moi, le tourisme est un moyen de contact avec l’humanité. Il peut aussi conduire les gens à changer leur vision sur l’islam. Quand on a visité Kairouan, on ne peut plus dire que l’islam, c’est la barbarie, que les musulmans sont des Ben Laden. C’est le meilleur moyen de lutter contre le racisme et cela aide les musulmans d’Europe.
Et si on a peur que le tourisme touche à nos valeurs ou à notre religion, le problème est en nous, dans notre manque de conviction, et non pas dans nos visiteurs. Certains fanatiques disent que le tourisme n’amène que le haram et les mauvaises mœurs. Ce sont des abrutis, des ignorants qui ne voient que les comportements minoritaires. Mais combien de personnes sont entrées dans l’islam grâce au tourisme ?
Comment avez-vous perçu les déclarations de Manuel Valls et les réactions qui ont suivi de la part de nos ministres ?
H. Chalghoumi
Connaissant Manuel Valls, je peux dire que c’est quelqu’un de très respectueux de l’islam : il a dans sa ville une des plus grandes mosquées de France, il fête avec nous la naissance du Prophète et appelle avec insistance à la formation des imams.
Ce qui a semblé choquer les islamistes ici, c’est l’association entre fascisme et islam. Une telle association vous semble-t-elle admissible ?
H. Chalghoumi
L’islam, non, mais les personnes qui, sous couvert d’islam, appellent à la haine et menacent les gens méritent amplement d’être qualifiées de fascistes. Mais la question que je me pose, c’est l’absence de sagesse politique chez les responsables tunisiens qui ont surréagi, sans penser aux 700 000 Tunisiens vivant en France ni aux 1200 sociétés françaises implantées en Tunisie, pas plus qu’aux touristes français qui aiment venir en Tunisie. A titre personnel, j’ai été triste de ces réactions ; je ne reconnaissais pas la Tunisie.