Laurent Gonnet (Banque Mondiale) : une loi sur la Société de Gestion d’Actifs avant mars 2013
Entretien avec Laurent Gonnet, Senior Financial Sector à la Banque Mondiale.
Le représentant de la Banque Mondiale, Laurent Gonnet, a été l’invité du Conseil National de la FTH tenu le 15 décembre pour exposer le projet de l’AMC (Société de Gestion d’Actifs ou Assets Management Company, lire notre article) et répondre aux interrogations des membres du conseil. Nous l’avons rencontré à l’issue de cette réunion.
Les hôteliers s’étonnent d’avoir été jusque-là tenus à l’écart du projet de Société de gestion d’actifs. Avec qui la Banque Mondiale s’est-elle réunie pour aboutir à cette solution ?
Laurent Gonnet
Nos interlocuteurs ont été la Banque Centrale et les ministères de la Justice, des Finances et du Tourisme. Nous avons aussi rassemblé des professionnels de l’AMC (Assets Management Company, ndlr) qui avaient monté de telles structures ailleurs dans le monde (Suède, Irlande, Malaisie…). S’agissant d’une première approche technique du sujet, ni les banques ni les hôteliers n’ont été conviés.
S’agissait-il d’AMC réalisées dans le secteur du tourisme ?
Non, pas dans le secteur du tourisme. A ma connaissance, il n’y a jamais eu d’AMC dans le tourisme. D’une manière générale, il nous fallait une solution pour sortir de la situation actuelle où la discussion entre banques et hôteliers est inexistante. Il fallait donc trouver une autre partie qui soit capable de discuter avec les banques et les hôteliers.
Que pensez-vous de la solution proposée par les hôteliers : l’AMC s’occuperait des hôtels qui n’ont jamais rien payé de leur dette, et laisserait les autres trouver un accord pour régler le principal de la dette d’abord et les intérêts ensuite ?
Bien sûr que nous approuvons une telle solution. Si l’hôtelier arrive à trouver un accord avec sa banque, on ne peut que s’en réjouir.
Certaines banques privées ont accepté cette solution. Le problème reste celui des banques publiques, et notamment de la STB, qui ne bougent pas sans un accord avec la BCT et donc avec le gouvernement.
C’est la gouvernance des banques publiques qui veut cela, puisque personne ne veut prendre la décision d’un abattement de créances qui serait vu comme une dilapidation de l’argent public. La gouvernance dans les banques publiques est faite de telle sorte qu’une telle décision est difficile à prendre. Indépendamment du dossier hôtelier, nous travaillons avec le gouvernement tunisien pour revoir les modes de gouvernance des banques publiques.
Dans le dossier de l’endettement, à quel titre la Banque Mondiale intervient-elle ? Etes-vous un simple consultant ?
Exactement, nous sommes Advisers. Nous avons commencé à travailler sur le sujet en novembre 2011 à la demande de l’ancien gouverneur de la BCT, et nous avons proposé le choix entre deux solutions : la création d’une Bad Bank (pour permettre aux banques de lui transférer des actifs dits toxiques avec une forte décote, ndlr) ou une sorte de fonds de retournement pour plusieurs banques qui est l’AMC. La Bad Bank était la solution la plus facile à mettre en œuvre puisqu’il suffisait pour cela d’une décision de la Banque Centrale ; alors que l’AMC est plus compliquée puisque sa création nécessitait un débat national et le vote d’une loi à l’Assemblée. Les autorités tunisiennes ont porté leur choix sur l’AMC, qui me semble la solution la plus courageuse et la plus avantageuse.
Avantageuse pour les banques, vous voulez dire…
Pour nous, nous nous refusons à faire la distinction entre banques et hôteliers. On se doit de faire d’une pierre deux coups : résoudre le problème des créances douteuses des banques, avec ce que cela implique pour l’économie, et relancer le tourisme en allégeant le problème de la dette et en restaurant la profitabilité du secteur.
Comment les choses vont-elles se passer concrètement ? A quel montant ces créances seront-elles récupérées, quel capital pour l’AMC… ?
La valeur faciale des crédits est d’un milliard de dinars – ou 1,3 milliards selon que l’on tienne compte ou non des agios réservés. Ces crédits pourraient être transférés à l’AMC selon leur valeur économique (actualisation des cash flows futurs d’un hôtel, ndlr) qui nous semble la plus équitable.
Quel est le calendrier pour la création de l’AMC ?
Il faut d’abord la loi. Le gouvernement s’est engagé à la présenter devant l’Assemblée avant la fin 2012, et on peut espérer qu’elle sera votée au cours du premier trimestre 2013. La Banque Mondiale n’intervient pas directement dans cette élaboration. Mais, à la demande de la Banque Centrale, elle a rassemblé de la documentation (y compris des lois d’AMC dans le monde) et proposé des consultants pour élaborer un canevas de loi pour la Tunisie avec des options au choix des parties concernées. Ce document pourra être livré d’ici la fin de la semaine (22 décembre, ndlr). La Banque Mondiale pourra jouer un rôle seulement à partir du moment où il y aura une visibilité sur la date d’entrée en vigueur de la loi sur l’AMC. Une fois la décision de la loi prise, la Banque Mondiale peut consentir à l’Etat des crédits supplémentaires à long terme. Ceux-ci serviront à alimenter le budget de l’Etat, qui pourra à son tour investir dans l’AMC en lui octroyant une dotation de départ lui permettant de fonctionner et de résorber d’éventuelles pertes au début.
A terme, la vocation de l’AMC est de valoriser les actifs acquis, de permettre la réalisation de bénéfices pour l’Etat et de réduire ses pertes initiales. Et c’est ce qui différencie l’AMC d’un “fonds vautour” qui achète à bas prix pour revendre tout de suite.
Existe-t-il un cahier des charges de la société qui va gérer l’AMC ?
Pas encore. Mais une telle société doit être compétente dans plusieurs domaines tels que le droit, la fiscalité, la banque et plus précisément dans le domaine des plans de restructuration, de la gestion immobilière (parce que l’AMC sera propriétaire de certains hôtels mais aussi locataire) et également en gestion hôtelière. Il n’existe probablement pas de sociétés qui rassemblent tous ces métiers, mais il y a une possibilité de combinaison avec des consultants qui s’y connaissent dans l’un ou l’autre métier. Il faudra les meilleurs spécialistes qu’ils soient tunisiens ou pas.
Est-on certain aujourd’hui que les premiers hôtels concernés par l’AMC seront ceux qui n’ont jamais rien payé de leurs dettes ?
Probablement. Mais encore une fois, cela relève du choix du gouvernement tunisien. A priori, l’AMC s’occupera de toutes les créances impayées. Mais on peut imaginer le cas d’un hôtel qui ne peut payer la totalité de sa dette car elle est trop élevée par rapport à ses capacités de paiement : rien n’empêche un tel hôtel de se placer dans l’AMC, qui restructurerait sa dette et pourrait co-investir avec lui pour relancer son hôtel. Cette hypothèse suppose évidemment une perte de contrôle partielle du capital de la part du propriétaire. C’est dans ce sens que je dis que la vocation de l’AMC est de faire repartir les hôtels endettés et non pas de les liquider.
Lors de votre présentation devant le Conseil National de la FTH, quelles sont les remarques des hôteliers que vous avez trouvées pertinentes ?
Celles qui soulignent que les hôteliers endettés ne sont pas les seuls responsables de ce qui leur arrive. C’est sans doute vrai pour beaucoup d’entre eux. Le tourisme tunisien a connu un problème général de gouvernance ; on a financé un peu trop d’hôtels et on n’a pas vu que le marché avait tourné, d’où la formation d’une “bulle hôtelière”. Quand il y a formation d’une bulle, la BCT doit limiter le financement. Je suppose que la BCT a vu le problème mais n’a pas pu infléchir le gouvernement, faute sans doute d’indépendance vis-à-vis du pouvoir alors en place. Par ailleurs, il aurait peut-être fallu faire de l’hôtellerie autrement, gérer autrement le marketing de la destination, profiter de l’Open Sky, etc. La co-responsabilité des différents intervenants dans le tourisme est donc bien réelle.