Tourisme tunisien : traitons nous-mêmes nos dossiers !
Ce qui est remarquable, c’est que les études menées par l’administration du président déchu, celles par l’équipe Mehdi Houas (le premier des ministres du Tourisme après la révolution) ainsi que celles menées par l’administration actuelle aboutissent au même diagnostic et aux mêmes recommandations ! On pourrait ainsi penser qu’il y a une unanimité sur le diagnostic ainsi que sur les remèdes aux problèmes du secteur du tourisme tunisien et de son hôtellerie.
En y regardant de plus près, on se rend compte que tous ces cabinets n’ont fait aucune étude INDEPENDANTE (et encore moins tuniso-tunisienne) et n’ont fait que reprendre à leur compte les recommandations des experts de la Banque Mondiale ! Les méthodes n’ont donc pas changé. On continue à appliquer les recettes des experts de la Banque Mondiale et on fait croire aux gens que les Tunisiens font des études sectorielles, gèrent eux-mêmes leurs affaires et décident de leur stratégie et de leur avenir. Du temps où M. Elyes Fakhfakh était au ministère du Tourisme, on parlait même de l’organisation d’Assises du Tourisme, juste pour maquiller les recommandations de la Banque Mondiale et les faire passer pour des décisions locales émanant du citoyen tunisien et de la profession !
En réalité, les études sont faites par des personnes employées par la Banque Mondiale ou le FMI, qui viennent passer quelques jours dans notre beau pays et qui font des compilations de chiffres avec des projections s’inspirant de ce qu’ils ont déjà fait ou préconisé dans d’autres pays. Des scénarios le plus souvent déconnectés de la réalité, toujours favorables aux finances de la Banque Mondiale et des autres organismes occidentaux qui détiennent les rênes du pouvoir universel.
La place réservée par les gouvernants au citoyen TUNISIEN dans le processus de prise de décision n’a pas changé et cela est déplorable. Le Tunisien n’est pas réhabilité comme il se doit, même en sortant d’une révolution par laquelle il a voulu faire entendre à ses gouvernants sa voix et retrouver son indépendance et sa dignité ! Ce message n’a apparemment pas été bien compris par la nouvelle équipe au pouvoir. C’est toujours le Nord qui pense discrètement pour le Sud mais qui n’assume rien quand il y a un échec ou quand cela va mal !
Après les péripéties qu’a connues la Tunisie à la fin du règne du Président Bourguiba, notre économie a été bâtie par Ben Ali et son équipe, à 80% en partenariat avec l’Europe (70% de nos échanges sont avec l’Europe) en application stricte des feuilles de route décrites dans le processus de Barcelone dont l’application a réellement commencé en 1995. C’est ainsi que, secteur par secteur, tel un élève studieux, la Tunisie a fait siennes toutes les stratégies conçues pour nous par l’Europe voire d’autres institutions comme la Banque Mondiale et ses filiales.
Tout cela est très bien et arrangeait tout le monde, sauf que le 14 janvier 2011, le peuple tunisien, sous la pression d’un fort déséquilibre régional et d’un taux de chômage avoisinant les 30%, a sonné la faillite du Processus de Barcelone et de l’expérience économique tunisienne et a manifesté son mécontentement en réclamant haut et fort son droit au Travail, à la Liberté et à la Dignité Nationale.
A qui incombe la responsabilité de cet échec ? Qui a payé et continue à en payer la facture ? C’est ce citoyen tunisien qui n’a même pas eu son mot à dire, du temps de Ben Ali, pour concevoir le modèle économique qui s’est effondré sur sa tête.
Appliquons nos lois et tout ira pour le mieux !
Il ne faut pas oublier que ce sont les mêmes recommandations de ces organismes, face à un Tunisien muselé, qui ont conduit à la situation actuelle du tourisme tunisien avec, en prime, une forte contribution au développement d’effets pervers tels que le phénomène, que personne ne peut nier, de la surévaluation pour beaucoup d’hôtels des investissements effectivement réalisés ainsi que celle des fonds propres réellement apportés, conduisant à des financements à 100% à crédit.
Le fil conducteur dans les disfonctionnements a toujours été le non respect des lois, le favoritisme, le clientélisme et la corruption. Ces phénomènes ont pour beaucoup bloqué la récupération par les banques des actifs chez les mauvais payeurs qui continuent à jouir de leurs biens comme si de rien n’était.
Du temps de Ben Ali, les ministres du Tourisme qui se sont succédé avaient pour priorité de suivre la réalisation de ce que nous préconisaient les pourvoyeurs de fonds. MM. Houas, Fakhfakh et Gamra, les trois ministres successifs depuis la Révolution, n’ont malheureusement pas fait mieux. Ils ont validé et parrainé le plan de restructuration financière de l’hôtellerie tunisienne selon les mêmes recettes que leurs prédécesseurs. Allez encore nous parler de révolution en Tunisie ! Devant le mécontentement de la FTH de ne pas avoir été associée au processus de décision, M. Fakhfakh avait dit dans ses interviews que les professionnels seraient informés quand les choses seraient décidées ! Est-ce bien raisonnable ?
Pour mémoire, c’est la Banque Mondiale qui a préconisé en Tunisie la création des Banques de Développement, à commencer par celle du tourisme (Cofitour devenue BNDT). C’est la Banque Mondiale qui a préconisé aussi, au lieu de la laisser résoudre ses propres problèmes au cas par cas, la fusion entre la BNDT (anciennement détenue à hauteur de 50% par l’Etat tunisien et 50% par des institutions financières étrangères comme la SFI, filiale de la Banque Mondiale) et la STB pour noyer la dette de cette banque dans les actifs de la STB dans un schéma de fuite en avant.
Ce scénario imaginé par la Banque Mondiale devait diluer la dette impayée du tourisme, permettant au passage aux institutions étrangères de se soustraire de leur 50% de responsabilité vis-à-vis des dettes et des problèmes de la BNDT, cédés purement et simplement à la STB. Quel beau cadeau empoisonné !
Aujourd’hui, devant l’énormité des impayés de la dette du secteur atteignant plus de 1 200 millions de dinars et mettant en danger la STB qui n’est pas arrivée à digérer la maudite couleuvre, la Banque Mondiale revient pour préconiser à nouveau la création d’une Société de Gestion d’Actifs (la fameuse AMC) comme cela a été fait dans d’autres pays !!!
Ceci va prendre beaucoup de temps, coûter beaucoup d’argent, avec une issue pour le moins douteuse tant que la refonte du système judiciaire et l’élimination de la corruption n’auront pas avancé dans notre pays, et tant qu’un environnement favorable au retour de la rentabilité du secteur hôtelier n’aura pas été mis en place.
Aujourd’hui, les actifs douteux sont là où ils sont (chez la STB et chez certaines sociétés de recouvrement) et il n’y a nul besoin de créer de nouvelles sociétés de gestion ou de nouvelles “bad banks”. Il faut mettre les bonnes personnes aux bons postes et les laisser travailler pour résoudre les problèmes au cas par cas dans le cadre de la loi. Il faut appliquer la loi, la loi et rien que la loi pour récupérer les actifs chez les sociétés et personnes défaillantes, en récupérant aussi les garanties et autres actifs personnels d’origine non transparente et douteuse. Pour cela, il faut une vraie volonté politique et une réforme urgente du code des faillites pour faire rapidement aujourd’hui ce qui était impossible sous l’ancien régime.
Ceci étant, le prochain gouvernement de M. Mehdi Jomâa pressenti pour une période transitoire de 9 à 12 mois, n’aura pas le temps, à mon sens, de s’attaquer aux problèmes structurels de notre tourisme.
Les conclusions de la Banque Mondiale au sujet de l’endettement du secteur hôtelier mais aussi des autres problèmes de positionnement du produit touristique tunisien et de la stratégie à adopter en terme de transport aérien (problème de l’Open Sky, du positionnement des tour-opérateurs et du trafic charter sur notre destination), confirmées par l’Etude stratégique du Cabinet Laurent Berger, ne sont plus d’actualité et présentent beaucoup d’incohérences qui mériteraient une nouvelle lecture, en toute indépendance, par nos experts en Tunisie (chose impossible à l’époque de Ben Ali) et une meilleure participation du citoyen et de la profession, notamment à travers les syndicats FTAV et FTH dans la définition des choix stratégiques les mieux adaptés à notre situation et à nos besoins.
Le prochain gouvernement de M. Jomâa gagnerait à suspendre purement et simplement l’exécution des programmes en cours, y compris celui de la création de la Société de Gestion d’Actifs.
Sur le volet financier et les recommandations de la Banque Mondiale pour la constitution d’une AMC (Assets Management Company) destinée à loger quelque 156 unités hôtelières (chiffre à actualiser) classées créances non performantes dans les banques afin de soulager le secteur bancaire public et de permettre son assainissement, l’action est incomplète, se limitant à ce jour à mes yeux à une gymnastique de technique financière permettant une fuite en avant, mais n’apportant aucune réponse à la restauration à terme, comme elle le revendique, de la rentabilité du secteur clé de l’économie tunisienne qu’est le tourisme.
Les unités hôtelières aujourd’hui détériorées ont été livrées aux professionnels, il y a quelques années de cela, clé en main, neuves et en bon état de fonctionnement, mais le manque de rentabilité du secteur, malgré la réussite de certains, est une donnée macro-économique en Tunisie qui, tant qu’elle ne sera pas levée et résolue en tant que telle, continuera à dégrader tout actif hôtelier neuf ou remis à niveau via l’opération recommandée par les experts de la Banque Mondiale.
L’opération telle qu’elle est envisagée aujourd’hui pourrait apporter un début de solution pour l’assainissement du secteur bancaire, mais n’apporte aucune réponse ou garantie pour sortir le secteur hôtelier de la crise et l’amener vers la rentabilité.
La logique aurait voulu la mise en place, d’abord, d’un environnement favorable au retour de la rentabilité au secteur hôtelier, quitte par la suite à mettre en place un plan financier d’assainissement des unités hôtelières recensées comme dégradées et représentant de ce fait des créances non performantes chez les banques !
La constitution prématurée de la Société de Gestion d’Actifs par rapport à la mise en place d’actions pour ramener l’attractivité financière du secteur de l’hôtellerie sera un facteur conduisant au mieux à la complication et au rallongement du délai de réalisation de sa mission, voire à son échec !
Hakim TOUNSI (Authentique International)