Tunisair Express, une compagnie en rémission
Vous venez de conclure deux conventions, l’une avec le ministère du Tourisme et l’autre, plus récemment, avec le ministère du Transport. En quoi consistent-elles ?
Ali Miaoui
Les deux conventions sont de nature différente. La première, avec le ministère du Tourisme, résulte du constat du bas niveau des réservations hôtelières sur le Sud pour le mois de décembre, et de la volonté de les booster pour les vacances de fin d’année. D’où notre accord consistant à programmer un vol quotidien sur Tozeur (au lieu de trois vols hebdomadaires) pendant les deux semaines de vacances d’hiver, moyennant un soutien de l’ONTT de l’ordre de 100 000 dinars au maximum. Le bilan de l’opération a été un coefficient de remplissage de 65% environ, soit 700 clients supplémentaires sur Tozeur pour la période concernée, avec une subvention de l’ONTT de l’ordre de 80 000 dinars.
Même si on ne peut pas parler de rentabilité pour cette opération, son utilité a été évidente pour dynamiser le trafic sur la région de Tozeur. Personnellement, je pense que le principe même de cette expérience est à maintenir pour d’autres périodes. Etant donné que l’ONTT s’est engagé dans un plan de relance de la destination Sud, mon idée est de transformer ces vols occasionnels en vols permanents tout au long de l’année moyennant un soutien de l’administration du Tourisme.
Dans cette hypothèse de vols quotidiens à l’année, que laissent prévoir vos simulations en termes de trafic et de chiffre d’affaires ?
A. Miaoui
Nous prévoyons un déficit d’un million de dinars sur l’année vu que nous pratiquons des tarifs subventionnés qui ne correspondent pas aux coûts réels.
Pour revenir à votre première question et concernant cette fois notre convention avec le ministère du Transport, il s’agit d’un accord “révolutionnaire” dans le sens où, pour la première fois, il est pris en compte que la perte de la compagnie sur son trafic intérieur, évaluée à cinq millions de dinars, est essentiellement structurelle.
En effet, la compagnie perdait de l’argent pour assurer le trafic intérieur, y compris sur Djerba dont le déficit annuel s’évalue à plus d’un million de dinars. Au moment de rétablir les liaisons sur les aéroports de Gabès et de Gafsa pour désenclaver ces deux régions, nous avons exprimé notre volonté de le faire, mais mis en avant notre incapacité financière – puisque nous avions dû arrêter ces liaisons en décembre 2012 à cause d’un déficit de 800 000 dinars. Et c’est là qu’intervient l’accord que je qualifie de révolutionnaire. Signé par le ministère du Transport, celui des Finances, le président du groupe Tunisair et moi-même, cet accord engage le ministère du Transport à subventionner les vols domestiques à raison de 5 millions de dinars pour l’année 2014. Une enveloppe qui permettra de couvrir les pertes éventuelles sur Gabès et Gafsa, mais aussi sur Tozeur et Sfax.
Il faut préciser que ce soutien, puisé sur le budget de soutien du ministère du Transport (385 millions de dinars, ndlr), n’est pas automatique, mais sera déboursé par trimestre selon les résultats ligne par ligne.
Notre objectif, à Tunisair Express, est de faire en sorte que la subvention ne perdure pas. Sans prétendre rentabiliser tous les vols, nous visons à arriver à une situation où certaines lignes puissent dégager suffisamment de bénéfices pour subventionner d’autres lignes.
Que représente cette subvention par rapport aux pertes annuelles de votre compagnie ? Où en êtes-vous dans l’assainissement de ses finances ?
A. Miaoui
En 2011, la compagnie perdait 8 millions de dinars, et en 2012, 12 millions. Pour 2013, nous avions prévu à mon arrivée au mois d’avril de diviser par deux le montant de nos pertes par rapport à 2012. Cet objectif, nous n’allons probablement pas réussir à le réaliser à cause de l’immobilisation de la flotte pendant trois semaines cet été, qui nous a obligés à louer des avions chez Tunisair et Nouvelair. Nous réussirons néanmoins à baisser nos pertes de 35%.
Cependant, notre Business plan pour 2014, validé par le comité directeur de Tunisair et le Conseil d’administration de Tunisair Express, prévoit de retrouver le chemin de la rentabilité dès 2014 hors subventions de l’Etat, sachant que les subventions sont octroyées par ligne et resteront d’actualité tant que telle ou telle ligne sera déficitaire.
Pour établir ce Business plan, nous sommes partis du constat qu’on pouvait réaliser des économies en adoptant certains frais de structure à la taille et aux besoins réels de la compagnie. Nous avons commencé par établir une comptabilité analytique pour voir plus clair dans les résultats ligne par ligne. Il s’en est suivi des décisions d’arrêt de lignes, de réduction de voilure ou de développement de lignes. Nous avons aussi adapté les tarifs sur certaines lignes avec de légères augmentations.
Nous avons agi sur l’effectif de la compagnie (380 personnes) en externalisant certaines fonctions chez le groupe Tunisair, comme l’assistance dans les aéroports. Auparavant, celle-ci occupait une centaine de personnes au service de Tunisair Express, alors que Tunisair Handling manquait d’effectifs. D’où notre accord de transférer 70 personnes chez Tunisair Handling, qui s’occupe désormais de l’assistance pour notre compte.
Nous avons fait de même pour le Call center qui occupait chez nous 6 personnes ; nous le sous-traitons désormais chez Tunisair.
On en arrive à la viabilité de Tunisair Express. Cette compagnie a-t-elle un avenir, et lequel ?
A. Miaoui
La question mérite d’être posée pour une compagnie qui a été déficitaire depuis sa création. Pour y répondre, nous avons étudié plusieurs scénarios. Le premier est d’en faire une compagnie de leasing. Le deuxième serait de la restreindre au trafic domestique avec deux avions seulement. Autres scénarios : qu’elle fasse de l’intérieur et du régional ; qu’elle change de vocation en se développant à l’international et en reprenant des Boeing 737 de Tunisair ; qu’elle soit intégrée totalement à Tunisair. Enfin, dernier scénario : en faire la compagnie low-cost de Tunisair.
Après étude, nous avons abouti à la conclusion que cette compagnie pouvait se redresser rapidement grâce à la souplesse de sa structure. A condition de se concentrer sur son trafic de base, intérieur et régional, et de pouvoir assainir ses finances et connaître des bénéfices à l’horizon 2016, moment où elle devrait reprendre l’investissement dans sa propre flotte.
C’est ainsi que notre objectif en 2014 n’est pas d’augmenter notre trafic mais d’être rentable. Par exemple, notre trafic charter était important mais générait des pertes : nous l’avons réduit de 40% (même si nous augmentons les vols sur Djerba qui passent de trois à quatre) pour ne garder que des lignes bénéficiaires.
Pour revenir à Gafsa et Gabès, et au-delà de la subvention, ces lignes peuvent-elles devenir rentables un jour ?
A. Miaoui
Certainement pas en quelques mois. Mais le potentiel des deux régions est riche, tant sur le plan économique que touristique. L’enjeu pour nous, et pour tous les intervenants, est de réussir à les désenclaver. On peut envisager, une fois résolus les problèmes techniques des aéroports, d’équilibrer ces lignes. En tous les cas, elles seront viables avec une perte de l’ordre de 200 000 dinars et non plus 800 000 dinars comme c’était le cas en 2012.