Entretien avec Khaled Chelly : «Tunisair Express doit changer de modèle»
Mauvaise conjoncture oblige, Khaled Chelly, DG de Tunisair Express depuis trois mois, doit revoir la stratégie de la compagnie récemment mise en place. Il est question d’un redéploiement à l’international mais aussi d’un soutien au tourisme local, notamment vers Tozeur qui verrait la mise en place d’un vol spécial pour les mois d’octobre et novembre.
Où en êtes-vous de votre plan de redressement ? Maintenez-vous l’objectif de réduire les pertes de 35% cette année ?
Khaled Chelly
Non, nous n’atteindrons pas cet objectif. Le plan de redressement était basé sur l’abandon du trafic charter dans son volet non rentable et le redéploiement de l’activité sur le charter générant des bénéfices et sur le régulier à l’international, notamment sur la Libye. Malheureusement, la Libye a fait défaut et la reprise escomptée du tourisme n’a pas eu lieu. Globalement, le trafic a reculé à la fin du mois d’août de 16% (6% de baisse pour le régulier et 53% pour le charter).
Au mois de septembre, le trafic domestique a augmenté de 28% par rapport à septembre 2013. Malgré ce regain d’activité, nous prévoyons un recul du chiffre d’affaires de l’ordre de 16% à la fin de cette année avec un résultat négatif de l’ordre de 8 millions de dinars hors subventions de l’Etat. A l’heure actuelle, nous ne pouvons comparer ce résultat avec celui de 2013 tant que le ministère des Finances n’a pas spécifié la forme que prendra l’abandon de la créance de l’OACA, évaluée à quelque 13 millions de dinars. Un abandon pur et simple de la créance OACA générerait un exercice 2013 bénéficiaire, sachant que la perte comptable pour 2013 est de l’ordre de 11 millions de dinars (dont 4 pour les affrètements consécutifs à l’immobilisation de deux appareils).
Qu’en est-il du soutien financier aux lignes intérieures décidé par le ministère du Transport ?
Cela fonctionne comme prévu. Cette subvention nous est octroyée chaque trimestre sur la base de nos résultats sur nos lignes intérieures et nous venons de recevoir 1,2 million au titre du premier trimestre. C’est grâce à cette subvention que nous afficherons cette année un déficit de l’ordre de 3 millions de dinars, et non pas les 8 millions prévus.
A vous écouter, votre compagnie s’achemine vers un réajustement de la stratégie décidée il y a un an… Quelle marge de manœuvre resterait-il pour Tunisair Express sachant que ne pouvez plus augmenter vos tarifs domestiques généralement perçus comme élevés ?
Effectivement, la question de la stratégie se pose de nouveau avec acuité. Notre compagnie a été déficitaire depuis sa création, un déficit qui a pris de nouvelles proportions depuis la révolution. Mais avant de parler des options qui se présentent à nous, j’aimerais décrire la situation dans laquelle nous nous trouvons. Si nous prenons à titre d’exemple l’année 2013, on trouve 4, 2 millions de dinars de charges financières dont 3,2 millions pour différence de change à cause de nos engagements en dollars, notamment pour l’achat des avions. On trouve aussi 12,5 millions de dinars de charges de personnel malgré l’externalisation de certains services opérée fin 2012/2013. Si on ajoute à ces frais 9 millions d’amortissements, on aboutit à un total de charges de 25 millions pour un chiffre d’affaires de 44 millions de dinars. On est donc dans une situation où 60% des revenus servent à couvrir les charges fixes, un chiffre qui montre le degré de fragilité de la compagnie. De plus, celle-ci souffre de problèmes de trésorerie aigus nous obligeant à négocier le rééchelonnement de nos dettes envers des partenaires stratégiques comme les fournisseurs de fuel.
Vous avez évoqué la question des prix pour les vols domestiques. Sachez qu’avec un remplissage à 90% d’un ATR sur Djerba, on ne couvre pas ses coûts complets. Il est un fait que nous n’encaissons pas les 214 dinars payés par le passager pour un aller-retour Tunis-Djerba. Pour chaque tronçon, nous encaissons 85 dinars pour une distance de 500 km, ce qui nous place parmi les compagnies les moins chères en vols domestiques au 100 km. La première conclusion est de dire que les vols domestiques ne sont pas rentables en ATR.
Ces vols le seront-ils avec des avions plus grands ?
On a fait une simulation avec des 747 de 125 places et il s’avère que la rentabilité n’est atteinte que durant les 4 ou 5 mois de pointe. De surcroît, en optant pour de plus grands avions, nous ne pourrons plus mettre autant de fréquences qu’avec un ATR. La question est de concilier les impératifs de rentabilité et de fréquence.
Pour revenir à votre question première sur le réajustement de la stratégie de la compagnie, on doit dire que les différentes stratégies expérimentées ces dernières années nous ont convaincus de la nécessité d’un changement de modèle. Le domestique ne devrait plus être aussi prépondérant et le trafic international devrait être renforcé. S’il est question de développer l’international dans ses deux volets régulier et charter, nous privilégierons le charter rentable avec une politique tarifaire adéquate selon la saison. Il aussi question pour nous d’améliorer l’utilisation des avions pendant la période creuse. Parmi les niches de développement à l’international, nous pensons à Catane (Sicile) dont la liaison sera lancée prochainement. Autre piste, le transfert par Tunisair de quelques liaisons dont l’exploitation s’adapte mieux à une compagnie comme la nôtre. Enfin, nous pensons à l’Algérie, notamment l’Est algérien dont l’ouverture est encore suspendue à une mise à jour de l’accord aérien avec l’Algérie.
Parallèlement à ces axes, nous réfléchissons à une recomposition de notre flotte pour mieux répondre à notre déploiement à l’international. Des pistes sérieuses sont à l’étude et nous espérons les faire aboutir bientôt.
En somme, si la situation est difficile, elle n’est pas désespérée puisque les solutions existent et que le personnel de la compagnie est impliqué dans la réflexion stratégique.
Revenons au domestique, et plus spécialement à Tozeur où l’on parle d’un nouveau programme de soutien de la part du ministère du Tourisme. La ligne Tunis-Tozeur n’est-elle pas l’exemple des efforts qui vous restent à fournir en termes de nombre de vols et d’horaires ?
Nous venons d’avoir hier [le 1er octobre] une réunion avec le ministère du Tourisme et la FTAV au sujet du développement du tourisme intérieur. Un budget de 1 million de dinars disponible au sein du FODEC y sera consacré. Il est question de reconduire l’opération de l’année dernière avec des vols supplémentaires d’octobre à décembre ; il est également projeté par les agences le lancement de packages weed-end sur Tozeur avec un départ le vendredi après-midi et un retour le dimanche après-midi. Aujourd’hui, nous n’avons pas de vol l’après-midi, nos vols sont conçus pour permettre à des touristes de rejoindre leurs vols internationaux ; mais nous sommes prêts à mettre un vol spécial adapté au tourisme.
Qui, de vous ou des agences de voyages, le FODEC va-t-il subventionner ?
C’est l’un ou l’autre, la question est à l’étude pour déterminer la formule la plus incitative pour le touriste potentiel. Pour nous, soit nous mettrons à la disposition des agences un vol qu’ils nous paieront au prix charter, soit nous mettrons nous-mêmes en place un vol avec le soutien du FODEC. En tout état de cause, nous ne pouvons nous permettre de programmer ce vol par nous-mêmes sur une ligne qui est déjà déficitaire.
Il est question pour certaines agences de voyages de négocier avec vous des blocs sièges à l’année sur le vol de Tozeur. Comment jugez-vous cette initiative ?
Pour nous, c’est une idée très intéressante. Nous avons confirmé aux agences de voyages qu’elles peuvent soit mettre en place des packages pour octobre-novembre avec le soutien du FODEC, soit opter pour des blocs sièges à l’année que nous leur céderons à des prix préférentiels. Notre flexibilité tarifaire est justifiée par la clientèle additionnelle qu’apporteront ces agences.
A-t-il été aussi question de Tabarka ?
Non, Tabarka n’a pas été évoquée lors de cette réunion.