Des œuvres originales des trois peintres sont exposées au Bardo pour célébrer leur célèbre voyage en Tunisie en 1914. Une première tunisienne, africaine et arabe.
Jamais des originaux de peintres de l’envergure de Paul Klee et ses compagnons n’avaient jusqu’à présent été exposés en Tunisie. Il y a une bonne raison à cela : leur valeur est telle que leurs propriétaires, musées ou particuliers, exigent pour les prêter des conditions draconiennes (transport, sécurité, température, humidité…). Le montant des assurances à lui seul se chiffre en millions d’euros. C’est donc un exploit qui vient d’être accompli en réunissant en Tunisie trente-deux œuvres des trois peintres dont le voyage en Tunisie, célébré cette année, est devenu mythique.
Un précédent historique
L’exposition au musée du Bardo, du 28 novembre au 14 février, constitue donc un précédent, et on peut espérer que sa réussite ouvrira la voie à d’autres expositions d’œuvres d’art. A l’avenir, les responsables de collections hésiteront moins à confier leurs œuvres au musée du Bardo, pour le plus grand bonheur des amateurs d’art tunisiens comme des visiteurs étrangers.
Cette exposition fournit au public tunisien une occasion historique de voir les œuvres dans leurs couleurs réelles, et de percevoir toutes les nuances et le rendu de la lumière tels que les ont voulus les artistes – des couleurs et une lumière qui, justement, leur avaient fait une si forte impression lorsqu’ils ont découvert la Tunisie.
L’exposition a nécessité un aménagement spécial de la superbe Salle de Sousse du Bardo, avec climatisation et lumière contrôlée.
Recherches artistiques dans la lumière de Tunisie
Financée essentiellement par l’Allemagne, l’exposition est née de la rencontre de deux projets, celui du Goethe-Institut et celui du galeriste, feu Hamadi Cherif, pour célébrer le centenaire du Voyage en Tunisie. De dimension modeste – sa commissaire la compare à de la « musique de chambre » – elle réunit surtout des esquisses, dessins et aquarelles de petite taille. On n’y voit aucun des tableaux les plus célèbres réalisés en Tunisie (le Café des Nattes par August Macke, Kairouan peint par Paul Klee…) faute d’avoir pu convaincre les musées concernés de les prêter. Cependant, intelligemment conçue, elle parvient à nous replonger dans une histoire unique, celle de trois peintres confrontant leurs recherches artistiques à la découverte d’un pays entièrement nouveau, à la qualité de sa lumière comme aux formes épurées de son architecture.
La proximité entre les trois peintres est mise en évidence. Si Klee est devenu plus tard un des plus grands peintres du 20e siècle, à l’époque de la “Tunisreise” il se cherchait encore. Lui et ses amis ont travaillé ensemble, échangé leurs idées et leurs conceptions théoriques sur la peinture. Tous trois ont peint le même genre de surfaces colorées à la limite de l’abstraction, de formes géométriques inspirées de l’architecture qu’ils avaient sous les yeux – et jusqu’aux silhouettes de chameaux aux pattes filiformes semés dans certains tableaux.
Louis Moilliet, le “troisième homme” du voyage, moins connu que Klee et Macke, est largement représenté dans l’exposition. On y découvre ses premiers contacts avec la Tunisie, dès 1910, et les aquarelles qu’il ne cessa de peindre des années durant au cours de nombreux voyages en Tunisie puis au Maroc. Des visions fugaces et presque abstraites de paysages vibrants de lumière.
Un croquis signé Picasso
De Paul Klee, on verra une œuvre de grande valeur, une lithographie de 1925 intitulée “La cantatrice de l’Opéra Comique”. Un prêt que la commissaire est fière d’avoir obtenu, sans rapport évident avec la Tunisie, mais qu’elle présente comme son « coup de cœur » : un peu comme rappel de la vie culturelle de l’époque au Théâtre Municipal de Tunis, et un peu à cause de ses couleurs qui font écho aux belles mosaïques de la Salle de Sousse… Autre curiosité, un croquis de Klee qui témoigne des discussions théoriques entre les trois artistes : réalisé dans le style cubiste et adressé à Moilliet, il est ironiquement signé “Picasso” !
Enfin, de Macke, plusieurs dessins et un petit tableau peint à son retour de Tunisie : un “Marchand de bijoux turc” représenté dans un scintillement de couleurs vives évoquant une miniature persane.
GM
Lire aussi “Paul Klee, un peintre qui nous ressemble”.
Louis Moilliet, “Dans une localité tunisienne” (1921).
Paul Klee, “La cantatrice de l’Opéra Comique” (1925).
Paul Klee, “Maisons rouges et jaunes à Tunis” (1914).
August Macke, “Marchand de bijoux turc” (1914).
Louis Moilliet, “Ville en Maroc” (1923).
La directrice du Goethe Institut, principal organisateur de l’événement, et la Commissaire de l’exposition. A droite, le fils du peintre Louis Moilliet était présent à l’inauguration.
L’inauguration de l’exposition avec le directeur du musée du Bardo, Moncef Ben Moussa (à g.), et le ministre de la Culture Mourad Sakli (au centre) en compagnie des organisatrices allemandes.
Des panneaux informatifs retracent le parcours des trois peintres.