«Un petit pays peut profiter de l’Open Sky »
Entretien avec François Vellas, professeur en économie du tourisme et du transport : « Les compagnies traditionnelles sont prises en étau entre les compagnies low cost et les grandes compagnies des pays du Golfe… »
Professeur à l’université de Toulouse 1, auteur de plusieurs ouvrages se rapportant au tourisme et au transport aérien, François Vellas était récemment de passage à Tunis dans le cadre de ses activités au sein de l’association Acting For Life. Il nous a entretenus d’Open Sky.
Vous connaissez bien le cas marocain d’ouverture du ciel avec l’Europe. La Banque Mondiale, qui présente un bilan positif de l’Open Sky pour la RAM et pour le Maroc, et la RAM, dont le PDG n’hésite pas à parler de « risque mortel » pour les compagnies aériennes venant de l’Open Sky, ont des conclusions contradictoires à ce sujet. Qu’en pensez-vous ?
Dans le transport aérien, il est très difficile pour une compagnie de différencier son offre. C’est à cause de cette difficulté de différenciation que la concurrence se fait par la baisse des prix. Les compagnies traditionnelles trouvent des difficultés à faire face aux nouveaux entrants que sont les compagnies low cost, présentant des coûts moindres, et pouvant donc offrir des prix plus compétitifs. Il est vrai que cette situation a été la cause de la disparition ou de difficultés pour des compagnies qui n’ont pas su s’adapter à temps. La liste est longue : Sabena, Swissair, Alitalia… La situation des compagnies régulières classiques est d’autant plus difficile qu’il existe actuellement comme un effet d’étau entre les low cost qui rognent sur le court et moyen courrier, et les nouvelles compagnies des pays du Golfe qui se positionnent sur le long courrier haut de gamme. Une compagnie traditionnelle comme la RAM ou Tunisair est ainsi prise entre deux feux.
Dans le cas de la RAM, les choix stratégiques comme la création d’une filiale low cost, Atlas Blue, étaient-ils bien inspirés ?
Le choix important de la RAM est de combiner son réseau européen avec son réseau africain. Les mêmes avions qui vont en Europe durant la journée, sont utilisés pour des liaisons africaines la nuit. En revanche, la stratégie de créer une filiale low cost est un échec ; de même que la tentative de British Airways a été un échec, et que la création de Transavia par Air France n’est pas encore une réussite. En effet, Atlas Blue, avec 15 avions, ou même Transavia avec 40 avions, ne pouvaient rivaliser avec les grandes low cost dont la flotte se compte par centaines d’avions.
Ceci n’exclut pas que des petits pays puissent réussir… C’est le cas de la Norvège avec la Norvegian qui s’est spécialisée dans le low cost de luxe (WiFi gratuit…) et qui opère en Europe grâce à un accord d’Open Sky comme le Maroc. La Norvegian se dote d’une flotte de 100 avions. Un petit pays peut donc profiter de l’Open Sky en développant le secteur du transport aérien. Cette stratégie a déjà été initiée par Singapour puis Dubaï et Abou Dhabi, qui ont fait du transport aérien un secteur important de leur économie avec une contribution importante au PNB.
Qu’en est-il alors du cas de la Turquie, citée en exemple de pays qui réussit sans recourir à un accord d’Open Sky avec l’Europe ?
La Turquie et Turkish Airlines ont opté pour le développement d’une multitude d’accords bilatéraux avec la plupart des pays européens. Ils jouent ainsi le rôle d’aspirateurs du trafic européen vers les autres continents en multipliant les escales, à la fois dans les villes européennes et dans les pays de destination. En Irak, par exemple, Turkish Airlines fait escale dans six villes irakiennes et offre à ce pays une ouverture sur le monde. La stratégie de Turkish Airlines est d’aller de ville moyenne à ville moyenne ; elle ne cible pas les grandes villes, contrairement à Emirates par exemple. Ainsi, Turkish Airlines est la seule à proposer Toulouse-Erbil via Istanbul.
Une telle stratégie pourrait-elle inspirer la Tunisie et Tunisair ?
Il faudrait d’abord que Tunisair passe à 200 avions. Ensuite, la place est déjà prise par Turkish Airlines.…
L’ouverture de la concurrence au niveau d’un pays entre compagnies autochtones serait-il un préalable à l’ouverture du ciel avec l’Europe ? En Tunisie, par exemple, Tunisair jouit d’une rente aux dépens des compagnies nationales privées…
Ce n’est pas un préalable juridique, mais il pourrait l’être du point de vue économique. En effet, qui dit Open Sky dit forte concurrence, et il serait judicieux que les compagnies aériennes locales se frottent à la concurrence entre elles et mettent en place des stratégies qui les préparent à la concurrence internationale.