Lettre ouverte à Olfa Youssef : on ne peut vous reprocher votre “intrusion” dans le tourisme, mais de n’avoir pas pris la peine de vous informer avant.
Madame,
Intellectuelle vous êtes, et en tant que telle, vos “intrusions” dans la vie politique ces dernières années ont été, pour le citoyen que je suis, de véritables bouffées d’air frais.
Intellectuelle, vous vous devez d’attirer l’attention, de sonner l’alerte, d’être un « chien de garde » au sens que lui donnait Paul Nizan. Intellectuelle, vous vous devez, à la manière d’un Stéphane Hessel, de vous indigner et d’appeler vos concitoyens à l’indignation.
En apprenant votre appel au boycott des hôtels tunisiens, j’espérais des propos à la mesure de votre réputation naissante ; j’espérais une dénonciation d’un fait grave ou d’un danger qui guetterait nos enfants et nos familles. Rien de tout cela : vous montez sur vos grands chevaux pour défendre le droit d’une minorité au“ luxe pas cher”.
En effet, vous réclamez en substance un « droit » pour les Tunisiens à fréquenter les hôtels à un “prix bas” que vous considérez comme le “juste prix ”– puisque votre expérience des hôtels ailleurs qu’en Tunisie le prouve – et partant, vous érigez le « boycott » des hôtels tunisiens en « devoir national ».
Ainsi résumée, votre indignation est un chef d’œuvre d’amalgames.
En effet, s’il y a un droit à réclamer pour le plus grand nombre des Tunisiens, c’est sûrement celui aux loisirs et au tourisme, et non pas « aux hôtels ». Savez-vous qu’en France, par exemple, seuls 10% des vacanciers peuvent se payer des hôtels, et que 70% optent pour l’hébergement non marchand (famille, amis…) soit 66% des nuitées annuelles de ce pays ? Pourquoi voulez-vous que tous les Tunisiens partent à l’hôtel ? Sont-ils mieux nantis que les Français ?
Pourquoi faites-vous, comme d’autres, une fixation sur les hôtels, augmentant ainsi la frustration de vos concitoyens ? A vous entendre : « hors des hôtels, pas de vacances véritables ». Pourquoi ne réclamez-vous pas des piscines et des aires de jeux dans tous les arrondissements municipaux du pays (comme c’est le cas en Europe) pour répondre à l’aspiration légitime des Tunisiens aux loisirs ? Est-ce le rôle des hôtels ou de l’ONTT de répondre à cette aspiration ? Vous auriez pu critiquer le modèle de développement de l’hôtellerie tunisienne, voulu par l’Etat comme source de devises, et ainsi dédié aux étrangers et aux seules régions côtières ; vous auriez pu reprocher à nos investisseurs hôteliers de délaisser l’hôtellerie économique adaptée à la bourse des Tunisiens et des Maghrébins, comme vous auriez pu vous étonner que les nombreuses chaînes étrangères n’exportent chez nous que leurs enseignes haut et moyen de gamme, et non les enseignes du genre Motel ou Formule 1. Vous auriez pu critiquer l’absence d’une politique de l’Etat pour faciliter le départ en vacances du plus grand nombre comme cela existe en France (chèques vacances…).
Au lieu de cela, vous avez choisi de vous intéresser au “droit” des Tunisiens à choisir des hôtels de “luxe bon marché” – une nouvelle version du dicton de la jument « coureuse et non mangeuse ».
Finalement, vous êtes victime, autant que n’importe quel Tunisien lambda, de l’éternel amalgame entre tourisme et hôtellerie.
Vous êtes aussi victime de vos sources sur le sujet, que je soupçonne d’être des émissions de variétés plutôt que des lectures sérieuses. Vous accusez les hôteliers tunisiens d’escroquerie pour la raison étonnante qu’ils vendent les séjours par personne et non par chambre. Sachez que nos hôteliers n’ont – malheureusement – rien inventé en matière de commercialisation. En effet, tous les hôtels qui n’offrent que des chambres, dont beaucoup d’hôtels de ville, dans le monde comme en Tunisie, affichent des tarifs par chambre. Et, au contraire, les hôtels resorts (c’est-à-dire des complexes touristiques offrant, en plus des chambres, des restaurants, des bars, des piscines, des terrains de sport, des centres de bien-être, des jardins… et les frais qui vont avec) affichent des tarifs par personne, notamment en all inclusive ou en pension complète.
Que retenir alors de votre indignation ? A qui profite-elle ? je vous laisse deviner…
Lotfi Mansour