Mme Karboul est bien partie pour être la Ministre du Tourisme la plus populaire des trente dernières années. C’est bien normal, elle y consacre apparemment le plus clair de son temps. Mais depuis un mois, point de réformes ni de décisions à la hauteur des défis du secteur… ou si peu.
Notre jeune et prometteuse Ministre du Tourisme annonçait, lors de sa nomination, qu’elle venait « pour sauver non pas cette saison mais les vingt saisons à venir ». Une déclaration qui a démultiplié nos espoirs, déjà grands, de voir enfin un ministre attaquer de front les vrais dossiers du secteur.
Un mois après cette annonce tonitruante, on attend toujours les décisions de Mme Karboul. Bien sûr, il y a eu le limogeage de Habib Ammar ; mais cette décision avait été prise avant même son arrivée. Il y a eu aussi la soirée sur la gastronomie tunisienne où étaient invités tous les anciens ministres du Tourisme – sauf le prédécesseur de Mme Karboul ; or c’est celui-là même qui avait programmé cette soirée initiée par Zouheir Ben Jmiaa. Bien sûr, Mme Karboul s’est illustrée, lors des “Dunes électroniques”, avec son sens de l’animation. Seulement voilà, les “Dunes” sont l’œuvre d’un privé et avaient été programmées depuis quelques mois.
Si de nombreux touristes tunisiens étaient présents aux “Dunes électroniques”, c’est grâce au dynamisme d’agences de voyages telles que Traveltodo, et à un accord – conclu avant l’arrivée de Mme Karboul – entre Tunisair Express et l’ONTT pour la mise en place de vols supplémentaires Tunis-Tozeur subventionnés par l’Office. Alors que reste-t-il de l’œuvre de Mme Karboul à part son enthousiasme ? Malheureusement pas grand-chose. C’est un peu « la brebis qui se flatte de l’embonpoint du mouton », comme le dit le dicton (que Dieu pardonne à nos ancêtres leur langage si peu diplomatique !).
Bien sûr que notre Ministre a encore de quoi tenir la une des journaux dans les prochains jours, et les prochaines semaines : avec un énième épisode du jeu des chaises musicales à l’ONTT, avec le Festival de Carthage à propos duquel on parlera de Shakira et de Fayrouz, ou avec la relance de l’UGPO, la fameuse Unité de gestion par objectif créée par Elyes Fakhfakh et qui avait été enterrée par Jamel Gamra. Mais celle-ci ne fera reparler d’elle que pour amuser la galerie, puisque l’UGPO n’a ni les moyens ni les compétences de ses ambitions.
On ne peut s’empêcher, en suivant l’activité de Mme la Ministre, de se demander, comme dans une célèbre publicité de hamburgers des années soixante : « Where is the beef ? » – « Où est la viande ? », pour dire qu’il manque l’essentiel.
Mme Karboul sait se montrer sympathique, mais ce n’est pas là l’essentiel du travail d’un ministre – “errassmi” comme on dit chez nous. Ce ne pourrait en aucun cas être “faire le tourisme” puisque l’administration ne possède ni les hôtels, ni les agences de voyages ni les compagnies aériennes ni les TO dont c’est la vocation. Le travail d’un ministre, c’est de créer les conditions favorables pour que les entreprises puissent agir. Et pour ne pas rendre trop long cet article, je citerai un aspect dont Mme Karboul devrait nous dire ce qu’elle en pense, à savoir la réforme de l’administration.
En effet, en même temps que nous possédons en Tunisie le budget de promotion le plus bas parmi nos concurrents, nous avons l’administration du Tourisme la plus budgétivore au monde. Selon un décompte que nous avons réalisé il y a quelques années sur la base des chiffres de l’OMT, nous avions constaté que notre administration était la seule au monde à consacrer 70% du budget du Tourisme aux dépenses de fonctionnement, contre seulement 30% aux dépenses de promotion. Ailleurs dans le monde, c’est l’inverse. Il semble que depuis, nous en sommes à 60/40 ; mais le mal est toujours là.
Nos ministres préfèrent s’ingénier à créer de nouvelles taxes pour renflouer le budget de promotion, au lieu de s’attaquer à ce mal qui engloutit l’argent du contribuable sans preuve d’efficacité. Au lieu d’une telle réforme structurelle qui suppose la création d’une agence de promotion, Mme Karboul semble nous dire que « le système est bon, seuls les individus sont mauvais ». Et notamment les individus dont la tête ne lui revient pas : « Celui-là, je ne veux plus voir sa tête », l’a-t-on entendu proférer.
Alors, Mme Karboul, vous nous avez assez amusés comme ça. Il est temps pour vous de nous étonner avec des idées et des mesures innovantes qui mettraient notre tourisme à l’abri « pour les vingt prochaines années », comme vous l’avez promis.
Lotfi Mansour