Jawhar Ben Mbarek préfère augmenter les salaires des instituteurs plutôt qu’empêcher le licenciement de dizaines de milliers d’employés du tourisme. Pire, il insulte les hôteliers en les traitant de « loups solitaires », autrement dit de terroristes. Mais comme le berger de la fable, il ne « crie au loup » que parce qu’il s’ennuie.
Les mesures annoncées pour sauver la saison touristique nous ont valu une sortie inattendue de la part d’un Jawhar Ben Mbarek qu’on prenait jusque-là pour un esprit éclairé, mais qui semble sombrer comme beaucoup d’autres dans ses petits calculs politiciens pour nous servir une théorie étonnante du « loup solitaire ».
Selon cette éminence de notre société civile, les mesures prises par le ministère du Tourisme sont la preuve que la Ministre, et avec elle les hôteliers, sont des « loups solitaires » qui viennent dépecer les pauvres des autres secteurs auxquels on refuse des augmentations de salaires.
Manifestement, M. Ben Mbarek ne s’est même pas donné le temps de lire ces mesures. Sinon, comment peut-il confondre un plan de sauvetage des emplois du tourisme, qui ne sollicite d’aucune manière les caisses de l’Etat, avec « une dépense généreuse au profit des banques et des hôteliers » ?
En effet, qu’il s’agisse du report des dettes fiscales ou financières, des crédits de fonctionnement ou même de la baisse du taux de TVA, toutes ces facilités ne nécessitent aucune contribution du budget de l’Etat.
Les hôteliers paieront toutes leurs dettes fiscales. Ils rémunéreront les banques pour le crédit de fonctionnement avec un taux d’intérêt que la Ministre souhaite « non usurier », c’est-à-dire qu’il sera supérieur à 8%. La baisse du taux de TVA, qui – faut-il le rappeler – ne va pas dans les caisses des hôteliers mais dans celles de l’Etat, remet le tourisme tunisien au niveau de taxation de ses concurrents (France 5,5%, Chypre 5% etc.) ; c’est un pari de la part du gouvernement pour une augmentation du chiffre d’affaires des hôtels, et donc de la TVA récoltée.
Que reste-t-il à M. Ben Mbarek pour soutenir sa thèse du « loup solitaire » ? La prise en charge par l’Etat de la contribution patronale CNSS ? Elle est soumise à condition : elle sera réservée aux hôteliers qui ne procéderont à aucun licenciement.
Jawhar Ben Mbarek semble donc préférer le licenciement de dizaines de milliers d’employés pour faire plaisir à ceux qui demandent des augmentations de salaire. M. Ben Mbarek croit défendre les ouvriers et employés du tourisme en les privant de leur gagne-pain. A-t-il au moins demandé l’avis de ces employés ? L’ont-ils délégué pour parler en leur nom ? L’UGTT et à sa tête son Secrétaire Général Houcine Abassi ne semblent pas de l’avis de M. Ben Mbarek, qui veut être plus royaliste que le roi.
On s’attendrait, de la part des porte-paroles du populisme de gauche, à une demande de « nationalisation même partielle » des hôtels tunisiens, comme ont pris l’habitude de le proposer les gouvernements de gauche et les gauchistes d’autres pays. Une telle proposition aurait « eu de la gueule » ; elle aurait obligé le gouvernement à injecter des milliards (qu’il n’a pas) dans l’une de ses premières industries pour sauver des emplois et éviter une explosion sociale. Mais que le gouvernement réussisse à désamorcer cette explosion à peu de frais, voilà ce qui déplait à M. Ben Mbarek qui semble préférer l’augmentation des salaires des instituteurs à la préservation des emplois dans l’hôtellerie. Je lui propose donc de venir expliquer cette belle proposition aux centaines de milliers de salariés du tourisme.
Et si le problème de M. Ben Mbarek est l’enrichissement des hôteliers grâce aux mesures du gouvernement, il peut se tranquilliser : beaucoup ne pourront pas les réclamer puisqu’ils fermeront leurs hôtels, pour la simple raison qu’ils n’ont pas de clients. Rien que ce matin, deux hôtels ont fermé à Djerba.
Au lieu de crier au loup comme dans la fable d’Esope*, M. Ben Mbarek ferait mieux de s’occuper des vrais loups solitaires qui frappent le tourisme et l’économie tunisienne. A moins qu’il ne préfère suivre des cours d’économie.
Lotfi Mansour
* Un jeune berger qui s’ennuyait s’amusa à crier au loup, pour le plaisir de voir les villageois accourir pour sauver le troupeau. Après avoir répété plusieurs fois cette mauvaise plaisanterie, il ne trouva personne pour le secourir le jour où un loup attaqua effectivement le troupeau.